dimanche 27 mai 2018

Gauche ou gauche ?

Je suis de plus en plus frappé de constater combien il est important pour beaucoup de savoir si une personne ou une organisation est de gauche ou… de gauche. Et surtout de vérifier si cette « orientation » est pleinement respectée, sans déviation possible ! Personnellement, je pense pourtant que la distinction « gauche vs droite » n’a plus beaucoup d’importance. L’important, ce sont les valeurs qu’on veut promouvoir. Et elles ne sont pas nécessairement antagonistes.

Les valeurs de la gauche (selon Wikipédia) sont « la promotion d'idéaux progressistes et d'égalité, la critique de l'ordre social et le souci d'une plus grande justice sociale ». Ça me semble correct sur le plan sémantique, et nécessaire sur le plan politique. J’adhère donc pleinement à ces valeurs. J’irai même plus loin : elles animent mon action. Je me situe donc « à gauche ».

Pour certains, je devrais donc être contre toutes les idées et les valeurs de « droite ». Celles-ci sont en réalité moins évidentes à identifier. Wikipédia met en avant « la liberté, l'ordre, considéré comme juste ou comme un moindre mal, et la réprobation des changements brusques sur les questions de société et les questions éthiques ». Je ne sais pas trop si ces « valeurs » sont exclusivement de droite. Notamment, la « liberté ». Mais justement, parlons-en !

La « liberté » est certainement une valeur essentielle pour le « libéralisme ». Toute la question est de savoir dans quel sens. Pour les « libéraux », et encore plus les « néo-libéraux », l’idée est que chacun a la liberté de faire ce qu’il veut, et qu’il ne faut donc en rien apporter de l’aide aux gens pour se réaliser puisqu’ils ont tous en eux le potentiel de développer leur « capital humain ».

Cette conception est essentielle pour définir ce qu’est la vision « de droite » de la société. Quelque part, c’est « chacun pour soi », parce que chacun aurait en soi tout ce qu’il faut pour réussir. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas : tout le monde n’a pas les mêmes possibilités de se réaliser sur la base de ses seules potentialités. Le fait de naître dans telle ou telle famille, de tel ou tel milieu social ou de tel ou tel pays ; le fait de rencontrer dans sa vie telle ou telle personne qui peut ou non conduire à votre épanouissement social, culturel, affectif… ou au contraire vous casser ; le fait d’être enclin ou non à croire en ses possibilités, à leur faire confiance, à se dire que tout est possible… tout cela (et d’autres choses encore) fait qu’au bout du compte tout le monde n’a en réalité pas les mêmes possibilités que tout le monde !

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas favoriser les initiatives individuelles. Par exemple, l’« auto-entreprenariat », dans son sens premier, c’est-à-dire le fait de créer sa propre entreprise. Cette idée correspond bien aux convictions libérales : chacun doit pouvoir réaliser son propre projet. Néanmoins, cela ne veut pas dire que promouvoir l’auto-entreprenariat revient inévitablement à recevoir l’étiquette « de droite ». Le néolibéralisme considère comme « normal » l’auto-entreprenariat, puisque chacun a la possibilité d’être son propre entrepreneur. Pour les néolibéraux, il est donc bon de favoriser l’auto-entreprenariat (au sens d’accorder des facilités à sa mise en œuvre)… et tant pis pour ceux qui ne saisissent pas leur « chance ».

On peut cependant se dire qu’il est bon de favoriser l’auto-entreprenariat… sans déclasser ceux qui n’ont pas la possibilité – pour une raison ou pour une autre – de développer leur propre entreprise. Il me semble donc possible de promouvoir des systèmes qui favorisent à la fois l’auto-entreprenariat et la solidarité sociale. L’un n’empêche pas l’autre.

Sauf évidemment si l’on pense qu’il n’y a qu’une seule bonne réponse à la question de savoir qui est à gauche ou à gauche…

vendredi 18 mai 2018

Mawda, le rêve brisé

Mawda, tu avais le même âge qu’Élise, ma petite fille. Tes parents kurdes rêvaient d’un monde meilleur, où tu pourrais grandir dignement, loin de la pauvreté et de la guerre. Ils t’ont embarquée dans une folle aventure. Pour toi, pour ton bonheur. Des passeurs leur ont promis que tout allait bien se passer. Rien ne s’est bien passé. Vous étiez une trentaine dans une petite camionnette. Un contrôle de police. Le passeur passe outre. La police commence la poursuite. Au moins un des policiers tire sur cette camionnette qui fuit. Une balle transperce ton visage. Le rêve est brisé.

Qui est responsable de cette mort ? Il y aura sans doute une procédure judiciaire qui ne débouchera sans doute sur rien. Dans ces moments, la justice est toujours bien pauvre et ne peut jamais remonter aux vraies responsabilités.

Certains me disent ce soir que c’est ton Papa qui est le premier responsable puisqu’il t’a mis dans une situation dangereuse. La première fois qu’il l’a fait, c’est quand il t’a fait naître. On ne meurt pas si un jour on ne naît pas ! Chaque jour, 244 000 pères mettent ainsi leur nouveau-né en danger ! Pour le reste, ton Papa rêvait d’un monde meilleur, voulait t’offrir non pas le paradis, mais simplement l’espoir d’une vie plus agréable. Il a cru à des sirènes qui la lui promettaient. Il s’est juste trompé.

Ces sirènes – les passeurs – sont certainement responsables. Ce qui les intéresse, c’est de gagner de l’argent en profitant de toute cette détresse. Ils prennent des risques, mais plus que vraisemblablement l’activité est rentable. L’argent est gagné facilement au détriment de personnes perdues et fragiles. Qu’importe, tant qu’on gagne… et tant pis si d’autres perdent ! On peut espérer que la justice pourra punir sévèrement ces marchands de « bonheur » !

Le policier qui a tiré est évidemment responsable. D’autant plus que la loi est claire : si aucune menace concrète n’émane des occupants d’un véhicule, un policier n’a aucune raison d’utiliser son arme à feu. Même si le conducteur refuse d’arrêter son véhicule.  Ce n’est pas moi qui le dis, mais un policier ! Celui qui a malgré tout tiré devrait être sanctionné. Mais il faut espérer qu’il ne sera pas simplement le fusible qu’on fait sauter…

Pourquoi ce policier a-t-il tiré ? Cette camionnette ne les menaçait pas. Mais, visiblement, elle transportait des migrants. Et, en Belgique comme dans beaucoup d’autres pays pour le moment, il ne fait pas bon être migrant. Tu dois comprendre, Mawda, les migrants menacent notre civilisation et viennent nous voler toute notre richesse. Les migrants sont des méchants ! Il faut à tout prix les empêcher de s’installer chez nous : nous avons tout à perdre… alors qu’eux n’ont plus rien à perdre !

Qui défend ce discours fallacieux ? Qui met en place une politique ferme, mais totalement inhumaine, qui correspond à ces mensonges ? Qui, chaque jour, organise des actions policières pour esquinter ces migrants et les citoyens qui cherchent à leur offrir juste un peu d’humanité ? Qui mise en permanence sur une criminalisation des migrants plutôt que de mettre en place une véritable politique d’immigration, ferme sans doute, mais réellement humaine, c’est-à-dire où chaque être humain, surtout s’il est faible, est considéré comme un frère ou une sœur ?

Je ne citerai pas de nom, tout en espérant – sans y croire – que ceux qui doivent se sentir concernés prendront leurs responsabilités politiques. Pour moi, clairement, tout notre gouvernement fédéral est responsable. Et avec lui, tous les gouvernements qui en font de même un peu partout en Europe ou dans le monde.

Mawda, ce soir, je n’ai aucune illusion. Ton rêve est brisé. Le mien aussi. Tes parents rêvaient pour toi d’un monde meilleur. Je rêvais aussi, pour tant d’êtres humains, d’un monde meilleur. J’ose encore espérer que ta mort réveillera quelques consciences. Mais, malheureusement, ce serait un leurre d'être naïf…

dimanche 13 mai 2018

L’arbitraire…

Ainsi donc, le Club de Bruges a fait match nul au Standard, ce qui lui a permis d’être champion de Belgique. Tant mieux pour eux, ils le méritent. L’ennui – tout relatif – est que le but d’égalisation n’aurait pas dû être validé parce qu’il était précédé d’une faute évidente d’un brugeois. Malgré l’assistance vidéo à l’arbitrage, l’arbitre a choisi de garder sa décision. Le foot, je m’en fous. Mais l’évaluation, ça me passionne.

Dans de nombreuses circonstances, on est amené à évaluer pour préparer, voire prendre, des décisions. Mon rôti est-il cuit comme je le souhaite ? Puis-je effectuer ce dépassement ? Est-ce le bon moment pour acheter un nouveau pantalon ? Pour qui vais-je voter ? L’évaluation est au cœur même de notre vie quotidienne, pour chacun d’entre nous. Le processus est toujours le même, mais il est parfois quasiment inconscient et plus intuitif que systématique !

Il arrive alors parfois que nous procédions de manière plus arbitraire que rationnelle. Quand il s’agit de décider s’il faut acheter un nouveau pantalon, cela n’a sans doute pas beaucoup d’importance. Mais certaines évaluations ont des répercussions plus fondamentales. Soit parce qu’elles concernent des décisions importantes (vais-je accorder le but qui permettra au Club de gagner ou non quelques dizaines de millions ? vais-je épouser cette personne avec qui je me sens bien ? etc.), soit parce qu’elles impliquent d’autres personnes (vais-je donner une note positive ou négative à cet étudiant qui lui permettra d’avoir ou non son diplôme ? vais-je engager ce candidat qui correspond à tous les critères, mais que je ne sens pas ? etc.).

Dans toutes ces évaluations, l’idéal serait qu’on puisse procéder d’une manière tout à fait objective. Mais croire que cela serait possible est une illusion : dans toute évaluation, il y a toujours de la subjectivité. Le nier serait absurde. Pour bien évaluer, il faut d’abord et avant tout reconnaître que la subjectivité est au cœur du processus d’évaluation. Puis, il faut se demander comment on peut faire pour ne pas se laisser aller à l’arbitraire…

Objectiver la subjectivité ! Depuis longtemps, c’est une de mes obsessions scientifiques et/ou pédagogiques. Ce soir, plus que jamais.

En hommage à LQ.