mardi 7 mai 2019

Identités

Dans son dernier livre – Over identiteit (Sur l'identité) – Bart De Wever s’efforce d’apporter un argumentaire intellectuel à ses thèses nationalistes fondées sur le repli sur soi. Il est intéressant de comprendre et d’analyser son approche, car en réalité, elle fonde de nombreuses prises de position un peu partout dans le monde sur le rejet des autres et la défense de « notre » propre univers.

La base de son analyse est que ce qui définit une communauté, aussi petite soit-elle, est son identité. Des humains se regroupent autour d’un certain nombre de règles communes, de sentiments communs, de conceptions communes… Ils n’ont même pas besoin de parler de ces éléments communs, car ils constituent leur identité qui les réunit. L’histoire du monde est un énorme brassage de ces communautés qui, à force de se confronter et d’interagir, crée des communautés de plus en plus grandes qui doivent redéfinir constamment leur identité pour continuer à exister en tant que communauté.

Parmi d’autres phénomènes, les migrations ont de tout temps contribué à faire évoluer l’identité des nouvelles communautés qu’elles créaient. Aujourd’hui comme hier et demain. M. De Wever observe ce qui l’entoure et voit une société composée de communautés cloisonnées au lieu de se retrouver progressivement autour d'un nous. Cette observation est correcte, mais la difficulté est que l’auteur estime qu’il est nécessaire de se regrouper autour d’une culture dominante (leidcultuur) qui serait dès lors le socle de l'organisation de notre culture publique. Cela signifie que la société se fonde sur cette règle pour choisir la façon d'organiser la vie publique et que la culture privée d'un citoyen est d'un intérêt secondaire, écrit-il.

Assez logiquement, pour le président du parti nationaliste, cette culture dominante ne peut être que celle de la communauté culturelle flamande. Il s’appelerait Trump et vivrait aux USA, ce serait la communauté culturelle américaine (blanche). Et ainsi de suite.

Le principe qui fonde cette réflexion est l’exclusion : les différentes identités seraient exclusives et doivent donc s’exclure mutuellement l’une l’autre pour ne laisser la place qu’à une seule identité, la dominante.

Il me semble nécessaire de pouvoir envisager un autre principe, fondé sur l’inclusion : les différentes identités seraient inclusives et se reconnaîtraient l’une l’autre pour construire ensemble des identités multiples s’enrichissant mutuellement.

Ces deux approches mènent à des positions concrètes différentes. Par exemple, dans une approche exclusive, un principe de base est la neutralité de l'autorité publique, qui suppose notamment que les citoyens ne tirent aucun droit automatique de leur identité personnelle dans la culture publique, avec l'interdiction des signes convictionnels dans l'enseignement public ou dans la fonction publique. Il est intéressant de prendre conscience qu’une telle approche revient en réalité à nier sa propre identité.

Une approche inclusive débouche plutôt sur la pluralité, où chacun peut vivre son identité pour autant, bien entendu, que ce soit dans le respect des autres identités. À terme, il est vraisemblable que cette pluralité d’identités, et donc leur brassage, contribuent à créer une ou des nouvelles identités, sans que l’une ne s’impose à l’autre.

Promouvoir une approche inclusive n’est certainement pas facile aujourd’hui, car la lame exclusive est largement portée par les populistes de tous bords et par de nombreux citoyens, comme l’a encore montré l’étude sur la perception des réfugiés, réalisée par la fondation Ceci n’est pas une crise.

Il serait stupide de nier que les migrations entraînent des difficultés de vivre ensemble. Elles amènent inévitablement la confrontation de différentes identités, parfois antagonistes. Tant qu’on reste dans une perspective où une identité – la nôtre – serait intrinsèquement supérieure et meilleure que les autres, il est impossible de surmonter les différences objectives et subjectives. Une approche exclusive est vouée à l’échec, car elle se fonde sur la négation de l’autre, avec comme seule issue sa destruction. Jusqu’au moment où plus aucune identité ne survivrait.

Viser une approche inclusive a le mérite de vouloir construire plutôt que détruire. C’est le vrai défi de nos sociétés.