samedi 28 janvier 2017

Une demi-heure

FMG©2016

Parfois, je me surprends à faire des choses qui ne font pas pleinement partie de moi. Non pas qu’elles me soient étrangères, mais ce n’est pas vers elles que j’irais spontanément. Je les fais parce que, quelque part, elles sont aussi ma vie. Ou du moins qu’elles y ont leur place. Je la leur accorde, tout en sachant que ce n’est qu’une tolérance. Salutaire peut-être, mais tolérance néanmoins. Il en est ainsi de la marche.

J’ai l’âge que j’ai. Les artères. Les articulations. Les viscères. Tout ça a mon âge. Je ne me sens pas très vieux, mais il est vraisemblable que je suis désormais dans le dernier tiers de ma vie. C’est juste un constat. Pour moi, ça peut encore continuer au-delà. Pour autant que mes artères, mes articulations et mes viscères suivent le rythme. Elles ont toutes pourtant ces dernières années manifesté quelques signes de faiblesse. Pas de panique : je vais bien. Mais simplement, mes entrailles n’ont plus vingt ans. Bref, un jour, le médecin m’a dit : il faut marcher…

Alors, je marche. J’ai eu du mal à m’y lancer avant de déménager. Il y avait des raisons objectives, mais elles n’étaient sans doute que des « faits alternatifs ». La vérité est que je remettais ça à plus tard… Moi, marcher, inutile d’y penser puisqu’il n’y avait pas de raison, de but à atteindre ! N’empêche, je savais bien qu’il le fallait. Alors, je me suis dit : « quand j’aurai déménagé ».

J’ai déménagé. Dès le lendemain, je partais en balade. Pas très longue. Le médecin m’avait dit : « une demi-heure ». J’ai donc marché une demi-heure. Aujourd’hui, je marche toujours une demi-heure. Seules la distance et la vitesse ont évolué. Ça, c’est tout à fait moi ! Quelque part, je me suis toujours senti un compétiteur, admiré par les foules, même si elles ne sont qu’imaginaires. Mais pour être admiré, il faut quand même avoir de quoi. Depuis toujours, c’est le désir d’une certaine vitesse. Non pas celle qui permet d’être le plus rapide du monde. Je sais où est ma place. Non, simplement, celle d’être le plus rapide de mon univers mental ! Il se limite en fait – sans doute, comme chacun d’entre nous – à une seule personne : moi. Alors, j’essaie d’être plus « rapide » que moi. Tout simplement. Sans aucune raison. Sans aucune récompense. Mais sans obsession non plus. Finalement, l’important, c’est – banalement – de marcher une demi-heure.

C’est ainsi que j’ai découvert ce que j’appelle la « marche rapide », sans savoir si je rentre dans les mesures de ce concept. Je sais que mes sorties quasi quotidiennes se déroulent désormais à un rythme un peu supérieur à 6 km/heure. Aucun exploit dans ce chiffre. Juste la satisfaction de me dépasser, moi qui ne suis définitivement pas marcheur.

Où cela me mènera-t-il ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que, même si cela ne me correspond vraiment pas, j’y prends un certain plaisir, auquel j’aspire. Quand, en fin d’une journée, comme aujourd’hui par exemple, je me rends compte que je n’ai pas trouvé le moment ou l’énergie d’aller faire cette balade, je le regrette. Je me dis que je suis passé à côté de quelque chose. À côté, simplement, d’une demi-heure de marche. Et ça me manque.

dimanche 22 janvier 2017

Tout est interprétation

Isabelle Marchal © 2017

Depuis ce samedi 22 janvier, une nouvelle fresque soudaine est apparue à Bruxelles. Quand on voit l’ampleur et la qualité du travail, on peut douter évidemment qu’elle soit si soudaine que ça, mais la question n’est pas là. La question est de savoir si cette œuvre est une incitation à la violence, comme l’a déclaré très rapidement le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur.

Effectivement, une première lecture de la fresque voit une main s’apprêtant à égorger un être humain. C’est violent, de toute évidence. Mais un deuxième regard permet aussi de voir une autre main, qui retient la main assassine. Alors, laquelle de ces deux mains est la plus importante ?

Pour répondre  à cette question, il faut resituer l’œuvre dans un contexte plus large. Elle n’est en fait qu’une adaptation d’un fragment d’un tableau célèbre dû aux pinceaux de Michelangelo Merisi da Caravaggio, en français Caravage ou le Caravage (1571-1610) : Le sacrifice d’Isaac.

Ce tableau s’inspire d’un récit de la Genèse (22, 9-12) : Dieu a enjoint Abraham de sacrifier son fils Isaac. Abraham s’apprête à obéir, mais un ange intervient pour arrêter le geste fatal. Cet épisode est commun aux trois religions dites « du Livre » : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Sa signification est limpide : Dieu s’oppose à tout sacrifice humain.

Loin d’être une incitation à la violence, ce tableau témoigne avant tout de l’absurdité de l’idée que « Dieu, Allah, YHWH » puisse attendre de ses fans une quelconque mort violente faite en son nom.

Que la nouvelle fresque sauvage bruxelloise soit provocatrice, c’est l’évidence-même. On y voit sans doute plus la lame du couteau que la main qui l’empêche de trancher. Mais une fois resituée dans son cadre artistique et religieux, elle est plus un symbole de paix qui s’adresse aux partisans des trois religions monothéistes, et surtout aux plus acharnés d’entre eux, de quelque bord qu’ils soient.

Impossible de dire ce qu’il adviendra de cette œuvre de rue. Il est fort possible qu’Yvan Mayeur, peu connu pour ses remises en question personnelles, décide de la détruire ou de l’occulter. Ce serait une nouvelle fois refuser la main tendue.