lundi 28 octobre 2019

Gauche, droite et écologie

FMG©2019

Lors d’une interview au journal Le Soir, à la question « Ecolo est de gauche ? », la jeune coprésidente Ecolo, Rajae Maouane, a répondu « Je n’ai pas grandi dans le truc gauche-droite. Pour moi, c’est une lecture ancienne. » De son point de vue, elle a raison. Néanmoins, toute opinion politique peut être située vers la gauche ou vers la droite quand on la compare à une autre, selon un certain nombre de caractéristiques. Celles-ci ne sont plus aujourd’hui totalement cohérentes et en cela, le clivage gauche-droite n’est plus nécessairement significatif. Mais quelles sont ces caractéristiques ?

Des valeurs avant tout, dont la liberté et la justice

Dans une première approche « à la grosse louche », on peut clamer que, pour la gauche, ce qui importe, c’est l’égalité, la solidarité, la tolérance, la fraternité. Pour la droite, c’est l’autorité, la sécurité, la tradition, la nation.

Certaines valeurs sont communes, mais avec des accents différents. La liberté est fondamentale pour la droite, tant que la liberté de l’autre n’empiète pas sur ma propre liberté et les privilèges qui y sont liés. Par exemple, la droite occidentale lutte contre l’immigration, car les immigrés sont perçus comme des menaces pour nos richesses et notre confort. La liberté est avant tout économique, liée au mérite : chacun peut (et doit) entreprendre ce qu’il veut pour son bien-être. Celui qui n’entreprend pas en est responsable, car il n’utilise pas sa liberté. Pour la gauche, la liberté est aussi fondamentale, mais il s’agit d’une liberté individuelle et sans limite : chacun fait ce qu’il veut. Les immigrés ont donc le droit d’immigrer, chacun a le droit de pratiquer la religion qu’il souhaite, le droit à l’insoumission est essentiel…

Une autre valeur commune est la justice, mais elle aussi avec des accents différents. La gauche revendique avant tout une justice sociale : il faut lutter contre les privilèges de telle sorte que chacun – quel que soit son contexte et ses actions – bénéficie des mêmes avantages que les autres. Pour la droite, il s’agit surtout d’une justice pénale : ceux qui ne respectent pas les règles de l’ordre social doivent en être exclus et punis.

Constatant que le système socioéconomique sert avant tout le pouvoir et les privilèges, la gauche critique l’ordre social issu du capitalisme et veut le changer en étant progressiste. La droite, par contre, est conservatrice en souhaitant maintenir l’ordre social tel qu’il est et a toujours été, dans le respect de la nation et de l’identité nationale.

Des stratégies différentes, parfois jusqu’à l’extrême

L’existence différenciée de ces valeurs entraîne des stratégies différentes. Alors que la droite prône la non-intervention sociale, par exemple en réduisant la fiscalité au strict minimum tout en soutenant la libre entreprise, la gauche souhaite contrôler les modalités de production et de distribution des biens et des services afin d’assurer la solidarité. Dans le cas de l’extrême-gauche, cette stratégie poussée au bout de sa logique débouche sur une volonté de changement radical du système capitaliste, avec un refus des institutions politiques et sociales, y compris le refus de participer au pouvoir en place. La spécificité de l’extrême-droite est moins liée aux questions stratégiques. C’est plutôt une exacerbation des notions d’ordre social, débouchant sur un autoritarisme, et d’unité organique de la nation, avec le racisme comme corolaire. Cette défense exclusive de la nation amène l’extrême-droite à se rapprocher du « peuple », avec un discours qui peut parfois paraître contestataire mais qui en réalité est populiste.

Tout ça, c’est valable en théorie. Dans la pratique, c’est plus compliqué et on ne sait plus trop qui est de droite ou de gauche : les sociaux démocrates veulent la solidarité mais dans le respect de l’ordre établi, les libéraux sociaux veulent la liberté entreprise mais en assurant que chacun ait le minimum vital, etc.

L’écologie, dans tout ça ?

Les journalistes du Soir ont interrogé Rajae Maouane sur sa nouvelle lecture : « Le choix entre une société ouverte et une autre fermée. » Elle cite son coprésident, Jean-Marc Nollet : « Écologie ou barbarie », emprunté à Noël Mamère, voire à Murray Bookchin. L’idée est qu’une société qui ne voit qu’elle-même va jusqu’à ignorer son environnement et se permet toute décision qui lui est profitable, même au détriment d’autres personnes ou d’autres sociétés. Une telle société fermée ignore le respect des droits humains et la loyauté à l’égard des citoyens tout en jouant un rôle crucial dans la dégradation de la planète.

Un texte d’ETOPIA, Centre d’animation et de recherche en écologie politique, avance que trois valeurs phares balisent l’écologie politique et la « délimitent » par rapport à d’autres courants : l’autonomie, la solidarité et la responsabilité.
  • L’« autonomie » est la capacité des personnes ou des groupes de personnes à se fixer leurs propres buts et « voir le bout de leurs actes ». Ce n’est pas seulement la liberté au sens libéral du terme (par opposition à la dictature et l’absolutisme), pas seulement la liberté de faire, mais de maîtriser ce que l’on fait.
  • La « solidarité » est l’affirmation de l’égalité en droit et dignité, mais une égalité qui n’est pas seulement affirmée au départ (et « que le meilleur gagne », comme dans le libéralisme du 18e siècle), ni une égalité niveleuse à obtenir comme résultat (comme le socialisme de la première moitié du 20e siècle). C’est le refus que quiconque soit laissé sur le bord de la route : quelles que soient les injustices et les erreurs de la liberté, chacun doit être en permanence remis en position de vivre une vie digne et autonome.
  • La « responsabilité », c’est la capacité et le devoir de répondre à la question « qu’as-tu fait ? » : « qu’as-tu fait aux autres ? », « qu’as-tu fait à l’environnement ? ». Il s’agit de la valeur la plus nouvelle apportée par l’écologie politique, par sa compréhension des conséquences à long terme et à longue portée de certains de nos actes, résultant de notre liberté et qui, alors même que nous les pensions « solidaires », peuvent se révéler nuisibles à d’autres humains ou à d’autres êtres vivants, plus tard, plus loin…

Il y aurait encore beaucoup à dire. Pour conclure néanmoins ce billet déjà trop long, je ne résiste pas à la tentation de partager une chanson que j’ai commise : « La valse des vexations » ! Elle semble légère, voire même un tantinet vulgaire, mais je vous invite à l’écouter avec la grille de lecture mise ici en avant. Vous y découvrirez peut-être un autre sens !

 Qu’y a-t-il de plus énervant
Que de pénétrer dans un WC
Et de se retrouver devant
Une planche éclaboussée
Parce qu’un mec est passé par là
Voulant marquer son territoire
En laissant un peu de son éclat
Comme si c’était obligatoire

Passe encore que certains ne savent pas
Que des chaussettes ont un envers et un endroit
Que chacun le fasse comme il le sent
Car en ce domaine le plus important
Est comme en politique ma foi
De savoir où est la gauche où est la droite

Cela dit, il y a de fortes chances
Qu’en arrivant dans ce local
Le mec a trouvé une planche
Qui refuse de rester verticale
C’est vrai qu’il n’est pas toujours facile
De devoir tenir son engin
En essayant que ne vacille
Cette planche tenue par l’autre main

Mais le sommet de la vexation
C’est de constater que pas mal de gens
Malgré toute leur éducation
Ignorent ce qui est évident
Un rouleau de papier WC
Doit s’installer nécessairement
De telle sorte qu’il puisse se dérouler
Les coupons allant vers l’avant

François-Marie GERARD - FMG © 2005

lundi 14 octobre 2019

Vaut mieux ne pas penser

Ce dimanche 13 octobre. Je participe à un événement citoyen contestataire, mais bon enfant. Plus de mille personnes se sont déployées dans les champs pour dire « Non au Contournement de Wavre ». Après la chaîne humaine, place à la convivialité et à la musique. Deux policiers âgés sont de faction dans un coin de la prairie. Après quelques échanges cordiaux, je me lance : « Dites, quand vous attendez comme ça, vous pensez à quoi ? »

Le premier me répond : « On écoute la musique… ». Cohérent. Je l’approuve. C’est alors que j’entends le second me lâcher froidement : « Oh vous savez, quand on est dans la police, mieux vaut ne pas penser » !

Je ne le laisse pas paraître, mais je suis instantanément refroidi, figé. J’ai encore dans le tête les images que j’ai vues la veille : lors d’une action de désobéissance civile à Bruxelles, organisée par Extinction Rébellion, des citoyens qui manifestaient pacifiquement se sont vus agressés par des autopompes, des sprays au poivre, des coups violents… Je comprends que ces policiers bruxellois sans aucune retenue étaient sans doute aussi mus par cette sentence  – est-ce un mot d’ordre ? – : « Mieux vaut ne pas penser » !

Penser, c’est l’essence même de l’être humain, de sa noblesse. «  Je pense, donc je suis !  », écrivait René Descartes au début du XVIIe siècle. C’est parce que nous pensons que nous existons, que nous sommes des êtres humains. La différence fondamentale entre un être humain et tous les autres êtres vivants est sa pensée. Alors, refuser de penser, c’est accepter de n’être plus humain.

En 1953, Czesław Miłosz, poète polonais, quittait momentanément rimes et vers pour publier un essai : La pensée captive. Il y montrait comment les régimes totalitaires font disparaître toute tentative de réflexion parmi ce qui reste des citoyens. Essai remarquable, mais qui s’appuie encore sur cette idée que, derrière articles et émissions insipides, il y a un comité central qui, délibérément, veut capturer la pensée pour la soumettre aux dogmes du parti. Aujourd’hui, chez nous, les choses sont différentes. Même pour la police, il n’y a pas de comité central ou de dogmes devant lesquels il faudrait s’aplatir. Reste que le travail d’abrutissement persiste, insidieusement, sans qu’il soit dirigé par qui que ce soit, voire vers qui que ce soit. L’assassinat de la pensée continue, mais sans assassin. Lorsque plus personne ne pensera, qui existera encore ?