samedi 7 mai 2022

Adieu, monsieur ; adieu, madame…

FMG©2022

En soi, je ne comptais pas parler ici de ce concert d’Hugues Aufray. Même si c’était une première pour moi, alors que c’est « avec lui » que j’ai appris à jouer de la guitare et à chanter, un peu. Mais – au moment où je ne m’y attendais pas – je me suis retrouvé une nouvelle fois dans un flot d’émotions que mes yeux n’ont pas pu gérer. Simplement, il a chanté « Adieu, monsieur le professeur ». 

C’est une chanson que je n’ai jamais aimée. Trop à l’eau de rose, voire trop mièvre. Mais dès les premières notes de la chanson, il y a eu une tempête dans mon cerveau qui m’a fait chavirer. En mars 1991, lors de ma dernière journée d’instituteur, j’ai eu droit à la rengaine, chantée par une soixantaine d’enfants. C’était une usurpation. Je n’étais pas ce « vieux maître tout ému ». J’avais 37 ans et si je quittais effectivement ces « gamins aimés tout au long de ma (courte) vie » d’instit, c’était juste pour commencer une nouvelle carrière, toujours au service de l’éducation et de la formation. En plus, ces enfants qui me fêtaient par cette chanson ne m’avaient pas vraiment connu : à la suite d’ennuis médicaux, je n’avais commencé l’année qu’en janvier. Depuis le début de l’année scolaire, ils avaient déjà eu deux autres institutrices intérimaires. Ils (re)trouvaient leur titulaire officiel qui les abandonnait aussitôt ! Vraiment pas de quoi offrir « quelques fleurs pour dire combien on vous aimait ». Je n’avais pas droit à cette chanson. Je l’ai toujours su, mais en entendant Hugues Aufray la chanter, accompagné par les voix des centaines de spectateurs, cette usurpation me tombait dessus plus que jamais.
 
En mars 1991, c’est une femme qui reprit ma classe. Leur quatrième prof en un an. Cette femme était une institutrice exceptionnelle. Elle avait accepté de relever le défi, alors qu’il changeait méchamment son rythme de vie. D’un mi-temps peinard, elle passait titulaire à temps plein. Elle a par la suite changé d’école, mais elle est restée cette institutrice dynamique et attentive au développement de chacun des enfants qui l’ont côtoyée. À la fin juin 2022, elle devait prendre sa retraite. Si quelqu’un avait droit à la chanson « Adieu, madame la professeure », c’était bien elle. Un foutu cancer est passé par là, la privant définitivement de ses six derniers mois d’institutrice merveilleuse… et de la chanson.
 
Alors, j’ai essayé… j’ai essayé de chanter en même temps que tout le monde, les larmes coulant abondamment. Mon ami Raphy qui m’accompagnait m’a demandé « Ça va ? ». J’ai dit – comme je dis souvent ces derniers mois – « Ça va aller… ».
 
Dans toutes les émotions qui se bousculaient dans mon cerveau, j’avais aussi – bien sûr – conscience que je disais adieu à mon professeur de chansons. J’ai mis presque 60 ans pour aller le voir… peu de chance qu’il attendra la même période pour me revoir. Alors, pour tout ça, monsieur, je vous dis : « Votre chanson est une daube, mais mon Dieu, qu’est-ce qu’elle est vraie ! »