mardi 29 mai 2012

La fillette au cartable

Rentrant l’autre jour à la maison, je dépasse une fillette d’environ 12 ans, son cartable sur le dos, marchant d’un bon pas. Visiblement, elle s’apprêtait à parcourir le chemin qui la séparait du village : un bon demi-kilomètre d’une route étroite, sans dégagement et présentant dès lors un réel danger pour les rares piétons qui s’y aventurent. Spontanément, j’ai ralenti. Il me semblait normal de lui proposer de monter dans ma voiture pour passer ce sinistre goulet. Mais j’ai soudain réalisé ce que la situation signifiait et j’ai continué ma route, non sans verser une larme.

Les affaires sont passées par là… Aujourd’hui, s’arrêter pour proposer à une jeune fille de monter dans sa voiture ne peut être perçu que comme une tentative d’enlèvement. J’ai soudain pleinement compris que j’allais mettre cette fillette dans une situation impossible. On lui avait certainement dit, avec raison, de se méfier des hommes qui pourraient l’aborder. Son pas décidé semblait d’ailleurs témoigner de sa volonté d’avancer sans s’occuper de ce qui l’entourait. Comment aurais-je pu lui faire comprendre que je n’étais pas dangereux, que je souhaitais simplement lui rendre service et faire en sorte qu’elle ne soit pas obligée de cheminer dans cette zone dangereuse ? Le seul fait de m’arrêter à sa hauteur aurait sans doute provoqué sa peur : seul un « méchant » fait cela aujourd’hui…

Et si à ce moment-là une autre voiture était arrivée ? Si on m’avait vu « interpeller » cette jeune adolescente… ? Qu’en aurait pu penser le conducteur ou la conductrice de cette voiture ? Ne courrais-je pas le risque d’être dénoncé comme kidnappeur pédophile potentiel ?

Dans cette affaire, je ne pouvais être que seul à connaître mes bonnes intentions. Il ne me restait qu’une seule solution : ignorer cette petite, ignorer les dangers qu’elle allait courir… et continuer ma route comme si de rien n’était.

Ne sommes-nous pas tombés bien bas ? À cause de quelques malades qui s’en sont pris à des enfants, on ne peut plus aujourd’hui être naturel, solidaire, bienveillant…

Ancien instituteur, j’ai conscience que certains gestes d’affection, de soutien ou de commisération que j’ai eus vis-à-vis des enfants qui m’étaient confiés pourraient aujourd’hui – à tort – être interprétés comme tendancieux alors qu’ils n’étaient qu’empathie avec ces enfants.

Notre société souffre de nombreux maux. Celui d’avoir faussé les saines relations entre adultes et enfants est peut-être un des plus inacceptables. En tout cas, moi, je ne l’accepterai jamais, tout en ne pouvant rien y faire !

3 commentaires:

  1. Cela m'éclaire beaucoup de lire une vision d'homme sur ce problème de société. Spontanément, je me range du côté féminin dans une telle situation, et je conçois la crainte de la fillette. J'ai été élevée dans cette crainte il y a plus de 40 ans, bien avant toutes les affaires auxquelles tu penses. Mais je me souviens que toute petite, j'entendais ma famille parler d'une fillette du village d'à côté qui avait été assassinée, étouffée avec des feuilles. Traumatisme durable. Ma mère nous a élevées dans la peur des "hommes qui s'arrêtent." Et j'ai vécu un "homme qui s'arrête" vers 15 ans, en rentrant à vélo de chez Cath. L'intention ne devait pas être honnête puisque j'étais à vélo, et j'ai eu très peur.
    Mais bien sûr je comprends ce que toi, homme honnête, qui plus est enseignant, peux ressentir. Tout est dévié par ces affaires. En France, un instituteur ne peut plus surveiller un vestiaire à la piscine sans présence féminine. Je pensais ce matin même à ce que tu évoques car j'ai un élève qui est revenu à l'école après un grave accident et un mois d'absence, nous étions si heureuses de le revoir que nous l'avons toutes embrassé. Tu n'aurais pas pu...

    Que faire contre ça ? Plus grand chose, je le crains...

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    1. Merci, Véronique, de ton apport à cette question difficile. Les vécus d'un homme ou d'une femme sont sans doute différents. Cela dit, j'ai aussi été éduqué dans "la peur de celui qui peut faire du mal". Lorsque j'avais 12 ans, j'avais été faire une balade dans le Bois, pour observer la nature seul (pour une épreuve scoute). Sur le chemin du retour, j'ai vu par terre un billet de 20 francs belges (0,50 EUR), puis un autre… Je les ramassais jusqu'au moment où j'ai vu un monsieur devant moi qui les perdait. N'écoutant que mon sens scout, je l'ai rejoint pour lui donner les billets que j'avais ramassés. Il m'a alors proposé d'en gagner beaucoup plus si je le suivais… Au premier carrefour, je suis parti dans un autre sens que lui et j'ai couru comme je n'ai jamais couru. Cela se passait en 1966 ! Rien de nouveau donc.

      Chez nous non plus, un instituteur ne peut plus être seul dans le vestiaire de la piscine… alors que je l'ai été de nombreuses fois. Et c'est vrai : je n'aurais pas pu embrasser cet élève revenant en classe. C'est bien triste !

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  2. Alain Lescroart30 mai 2012 à 07:47

    mon beau frère Jean Paul est en prison... il a été condamné à 7 ans. 7 interminables années pour lui, sa famille, ses amis...
    Son crime? avoir été instituteur, directeur d'une école de village, à une époque ou les gestes d’affection, de soutien ou de commisération comme tu le dis si bien étaient encore naturels. Mais voilà...
    bien des années plus tard, une fille devenue majeure, après une émission télévisée portant sur les agressions sexuelles, a soudain retrouvée la mémoire... son instituteur de Cours Moyen l'avait agressée! Et ça a été le début d'une descente aux enfers... Je ne vais pas ici raconter l'affaire, vous pouvez la trouver sur le blog du comité de soutien de Jean-Paul DEGACHE (il suffit de taper son nom sur un moteur de recherche).
    Jean-Paul est innocent. Tous ceux qui le connaissent le savent... Comme beaucoup d'autres instituteurs ou enseignants injustement accusés par des enfants, il a été broyé par un système parce qu'il a voulu "aimer" les enfants pour les accompagner et les faire grandir. Mettre la main sur l'épaule d'un enfant devient un geste suspect!!!
    Nous vivons dans un monde désorienté...

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