samedi 7 décembre 2024

Mort


Higanbana (Lycoris radiata)

Plus d’une fois, depuis trois ans, je me suis surpris à dire « quand Brigitte est partie », « depuis qu’elle n’est plus là », « après son grand voyage », etc., en commençant bien sûr par l’névitable « Brigitte nous a quittés » (NB de l’institutrice qu’elle était : avec un « s » si possible). J’utilisais ces formules, mais elle me mettait toujours mal à l’aise. Brigitte ne nous a pas quittés, elle n’est pas partie, elle est toujours là. Elle ne sait plus voyager. Elle est morte. Simplement morte.

Bien plus nombreux que ces quelques exemples, les différents euphémismes qu’on utilise pour parler de la mort sont compréhensibles, tant elle est anxiogène, heurte notre sensibilité et nous confronte à des souffrances ravageuses. Cependant, ces détours langagiers ne changent rien à la réalité, celle que nous connaîtrons tous inévitablement : nous sommes mortels. Les mots pour le dire ne changent rien : c’est la mort qui nous attend.

Qu’est-ce que la mort, à part arrêter de respirer ? Durant ma carrière professionnelle, j’ai travaillé la notion de « besoin ». Formateur, j’ai souvent insisté sur le fait qu’il n’existe qu’un seul vrai besoin : respirer. Lorsqu’il n’est plus possible, c’est fini. On meurt. Le 9 décembre 2021, le médecin de Brigitte m’a dit, avec beaucoup de compassion, ces mots terribles : « Nous allons tout faire pour qu’elle ne se rende pas compte qu’elle arrête de respirer ». Je crois qu’elle ne s’en est pas rendu compte trois jours plus tard, même si elle savait. Elle ne savait pas ce qu’était la mort, pas plus que je ne le sais aujourd’hui. Mais elle savait que ce n’était plus qu’une question d’heures.

En revanche, je sais – et Brigitte le savait aussi – qu’il y a des signes. Là où on ne les attend pas, si fragiles. Depuis trois ans, je lis chaque soir avant de m’endormir. C’est devenu une nécessité, je ne l’avais pas avant. La plupart du temps, je lis un des nombreux livres que Brigitte m’a laissés. Dans l’ordre alphabétique des auteurs qu’elle utilisait. À l’approche de ce mois de décembre, je suis tombé sur Une journée particulière, d’Anne-Dauphine Julliand. Cette femme y connaît quelque chose à la mort ayant dû supporter celle de trois de ses quatre enfants. À la page 67 de cette journée particulière, elle raconte l’accueil par Gaspard, 10 ans, de son frère nouveau-né : « Voilà ta famille, mais il y a aussi quelqu’un que tu ne peux pas voir. Plus personne ne peut la voir d’ailleurs. C’est Thaïs. Elle est morte. Tu sais ce que ça veut dire mort ? (Silence). Non, ce n’est pas grave si tu ne sais pas. Thaïs est ta sœur, plus grande qu’Azylis mais plus petite que moi. Je vais te raconter sa vie pour que tu la connaisses. »

Ce n’est pas grave de ne pas savoir ce qu’est la mort. Parce qu’être mort, c’est juste devenir « quelqu’un que tu ne peux pas voir ». Quelqu’un qui fait toujours partie de la famille, qui est toujours là dans nos cœurs, dans nos troubles. Simplement, qu’on ne voit pas. C’est tout.

J’essaie désormais de ne plus utiliser ces euphémismes et de me contenter de parler de «  mort ». Ce n’est en réalité qu’un détail. Les mots ne sont jamais que des mots. C’est cependant une étape de mon deuil. Accepter – encore et toujours – celle que j’aime comme elle est, en toute lucidité et sans détour.

5 commentaires:

  1. Merci pour ce beau texte, elle reste tellement vivante dans mes pensées et dans mon coeur, bien sûr à l'approche de ces dates, les souvenirs remontent et ancrent la chance de l'avoir côtoyée et celle de vivre aujourd'hui...toutes mes pensées pour toi , Claire.

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  2. Merci beaucoup pour ce texte très profond.

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  3. Merci François Marie.
    Dans mon cœur et mes pensées pour toujours aussi.

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  4. Merci François-Marie. Oui, dire il ou elle est mort ou morte choque encore à l'oreille, ou l'oreillette du cœur...? Et j'expérimente que le vide, le sentiment de perte ressenti est vraiment proportionel à la place que prenait (ou pas) cette personne dans mon quotidien... Tout comme le plein de lumière, d'amour et d'inspiration...voire de connections dans cette invisible.... Amitié et compassion cher François-Marie.
    Lea-valerie

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  5. De tout cœur avec vous..merci pour ce beau texte...Anne Dauphiné,nous parle avec tant d authenticité ...merci à vous..

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