Un beau jour de mai 399 avant Jésus-Christ, Socrate dut boire un verre de ciguë sachant qu’il allait y rester. Il avait été condamné par ses concitoyens athéniens pour avoir soi-disant introduit de nouvelles divinités et corrompu les jeunes. Il n’avait en fait que cherché à ce que les gens réfléchissent par eux-mêmes et sur eux-mêmes. De ce fait, il avait rénové la philosophie et la politique, en mettant l’individu, dans toute sa fragilité, au centre des préoccupations. Socrate fut le premier à dire que la seule chose qu’il savait, c’est qu’il ne savait rien. Quand on y réfléchit, c’est effectivement – dans son ironie – révolutionnaire. Socrate fut donc tué et son disciple-témoin Platon eut raison d’écrire alors que « les maux ne cesseront pas pour les humains avant que les authentiques philosophes n'arrivent au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement ».
On est bien loin du compte ! Quand on regarde la manière dont nos politiciens gèrent les affaires de l’État, il y a de quoi se poser des questions. Un exemple, parmi d’autres : mon pays – la Belgique – est, pour ce que j’en perçois, confronté à une crise politique importante et profonde, dont on n’est pas prêt de sortir. La véritable crise n’est sans doute pas celle qu’on croit. Les révélations diverses et réactions multiples de ces derniers jours semblent montrer que nous sommes confrontés à une querelle permanente entre les hommes politiques. L’enjeu n’est plus de gouverner la cité. L’enjeu n’est même plus d’avoir le pouvoir. L’enjeu est simplement d’empêcher l’autre de l’avoir. Je ne crois malheureusement pas qu’il y en ait qui soient plus propres que les autres. Tous, chacun à sa manière, passent leur temps à lancer une petite phrase assassine, à empêcher qu’un dialogue avance, à critiquer et à dénigrer l’autre. Comment pourrait-on progresser avec comme seule volonté d’empêcher l’autre d’avancer ?
Dans cette lutte publique morbide, un acteur important n’est pas en reste : la presse. On a l’impression que chaque journal cherche avant tout à publier l’information qui mettra le feu aux poudres. En osant prétendre que c’est ça, faire du vrai journalisme ! Sans doute, toute information est-elle bonne à dire. Mais le tout est dans la manière de le dire. Lorsqu’en plus de l’information, on cherche la provocation, fait-on encore du journalisme ? Tout comme pour les politiques, l’enjeu de ce type d’informations n’est même plus – pour ce que j’en comprends – de vendre le maximum d’exemplaires. Il est simplement d’être celui qui lâchera l’information qui tue…
On en revient à Socrate. On continue à le tuer. Si les objectifs ne sont plus ni de gérer le bien collectif ni d’informer et de faire réfléchir, alors toute cette clique ne vaut pas mieux que ceux qui ont condamné Socrate. Mine de rien, l’impact de celui-ci sur notre civilisation et notre culture est immense. Socrate représente le réel début de la culture dite judéo-chrétienne. Lors de sa mort, certains décidèrent de lui ériger une statue, disparue depuis longtemps. Mais sa pensée est encore là, bien vivante. Toujours dangereuse pour ceux qui ne voient que leur propre personne. Ceux qui n’ont pas compris que le « Connais-toi toi-même » n’a de sens que pour mieux comprendre les autres.
Pendant combien de siècles encore allons-nous lui faire boire la ciguë ?
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