dimanche 11 mai 2008

Les signaux détournés (6)

Il y a des jours où il vaut mieux essayer de ne pas comprendre. Ne pas se poser de questions. Se laisser aller à ses intuitions, sans s’encombrer l’esprit d’éléments qui ne peuvent que le perturber. C’est évident, mais facile à dire ! Dans la réalité, on est parfois confronté à des jours où le mystère reste entier.

Je roulais depuis quelques heures sur l’autoroute. Il n’y avait pas beaucoup de monde. J’étais concentré à la fois sur la route et sur la musique qui habitait la voiture. Petit à petit, je sentis que mon corps avait besoin de se libérer de quelques décilitres de toxines et je décidai de m’arrêter à la prochaine aire de repos.

Après 3 ou 4 kilomètres, j’aperçus l’espace attendu. Je m’y engageai en me sentant déjà soulagé lorsque je remarquai à l’entrée du parking le signal ci-dessus. Dans un premier temps, je n’y prêtai pas trop attention. Ce n’était pas la première aire d’autoroute sur laquelle je m’arrêtais et je ne voyais pas trop en quoi elle était particulière. Elle l’était pourtant.

M’avançant dans la zone, je fus frappé par sa propreté. Il faut dire qu’il n’y avait personne pour la salir. Une fois arrêté près du bâtiment logé au milieu de l’aire, je sortis de voiture et je fus frappé par le silence. J’attribuai ce silence à l’absence de musique et de bruit de moteur ou de route. Mais le silence était vraiment fort. C’est alors que je repensai au signal situé à l’entrée du parking. Que signifiait-il ?

Le bâtiment était carré et ne semblait avoir qu’une seule entrée. J’eus un doute : et si le signal – de par sa barre rouge verticale – signifiait qu’il ne pouvait pas y avoir de toilettes séparées pour les hommes et les femmes ? À vrai dire, ce serait assez étonnant, mais pas trop dérangeant. Pour moi du moins. Je suis un homme et je n’aurais pas trop de difficulté à partager ces lieux avec de charmantes dames ! J’étais néanmoins moins sûr que celles-ci soient du même avis. Surtout sur une aire d’autoroute. Bref, j’étais assez sceptique. Je ne pus m’empêcher en ces lieux de penser « comme la fosse » ! (La fosse septique…)

Je fis le tour du bâtiment et pus vérifier qu’il n’y avait effectivement qu’une seule entrée. J’entrai donc, mais je fus directement étonné de constater qu’il n’y avait rien dans ce bâtiment qui ressemble à de quelconques toilettes. Ni pour homme ni pour femme. Rien que du silence. J’étais en train de me rendre à l’évidence : ce signal devait indiquer qu’il n’y avait pas de toilettes dans cette zone, ou plutôt qu’il était interdit de pratiquer l’activité la plus banale qui soit. Étonnant.

Mon étonnement devint cependant plus important encore lorsque je constatai que les 4 murs intérieurs du bâtiment étaient recouverts d’un vaste miroir d’une brillance superbe et qui reflétait les autres murs dans un jeu sans fin de reflets. J’eus alors l’idée de jouer moi aussi et de regarder mon reflet se miroiter à l’infini. Je me plaçai devant le miroir, me déplaçai, me replaçai… mais rien ne se passait. J’avais beau essayer, il m’était impossible de me voir. J’étais là au milieu d’une pièce entourée de miroirs, mais c’est comme si je n’existais pas. Je commençai à m’affoler. Cela dépassait mon entendement. Et comme je n’entendais rien, j’ai préféré reculer, sortir de ce bâtiment où je semblais ne pas exister.

C’est alors que j’eus une lueur de compréhension : ce banal signal ne signifiait-il pas que la zone était interdite aux femmes comme aux hommes ? Une zone de non-existence humaine ! C’était vraiment alarmant. Inconscient, j’avais enfreint une règle élémentaire, évidente. Quel risque courrais-je ? Je pris mes jambes à mon cou. Enfin, façon de parler, car je ne savais même plus si j’avais encore des jambes ou un cou. Je vis ma voiture, m’y engouffrai, allumai le moteur et la musique, et je démarrai en trombe sans plus me soucier de rien.

Je récupérai avec une satisfaction extrême la monotonie de l’autoroute. Je ressentais encore le besoin de soulager mon corps, mais mon esprit repoussait cette éventualité. Je roulais en essayant de ne plus penser à rien. Ce n’est qu’après quelques kilomètres que je pris la peine de regarder vers ma droite pour voir sur le fauteuil du passager si rien n’avait disparu dans mes affaires qui y étaient disposées. À vrai dire, elles n’y étaient plus. À leur place, il y avait une femme. Elle me ressemblait étrangement. En vérité, la seule différence avec moi, c’est qu’elle était habillée d’une robe évasée. J’avais embarqué mon double féminin. Ce signal ne signifiait-il pas finalement qu’il est interdit de séparer sa part masculine de sa part féminine, sa part féminine de sa part masculine ? Moi qui pourtant m’appelle François-Marie, j’avais oublié quelques instants cette vérité fondamentale. Nous sommes Yin et Yang, indissociablement.

Mon esprit tournait. Je ne comprenais plus rien. Je fermai les yeux, enivré par trop d’évidences consommées. Mais je roulais à du 120 km à l’heure, et je ne tardai pas à rouvrir les yeux. Ouf ! La femme avait disparu. Mes affaires traînaient à nouveau en désordre. Et mon besoin avait disparu. J’étais redevenu moi-même.

Il y a des jours où il vaut mieux essayer de ne pas comprendre. Ne pas se poser de questions. Se laisser aller à ses intuitions, sans s’encombrer l’esprit d’éléments qui ne peuvent que le perturber. C’est évident, mais facile à dire ! Dans la réalité, on est parfois confronté à des jours où le mystère reste entier.

2 commentaires:

  1. ouh la ! Le soleil à Madagascar, ça m'a l'air d'être quelque chose !!!
    ;-)
    Tu as raison, il vaut mieux essayer de ne pas comprendre...

    Sympa quand même, le surréalisme ! :-)

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  2. Bonjour, je découvre votre blog :-)
    Et... j'aime beaucoup.

    Bravo pour ce très beau texte.

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