vendredi 18 février 2022

Liberté vulnérable solidaire ?

 

On n’a sans doute rarement autant parlé de libertés que depuis que cette crise de la covid qui a bousculé nos vies. S’il y a bien quelque chose d’évident, c’est que « nos libertés » ont été soumises à rude épreuve. Cela fait deux ans qu’on ne fait plus « ce qu’on veut », avec des tas de contraintes, justifiées ou non, acceptées par certains, refusées par d’autres jusqu’à ce « convoi de la liberté » qui a failli « déferler » sur Bruxelles. Mais de quelle liberté s’agit-il ?

Sans doute celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui date de 1789. Dès son article 1er, le ton est donné : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». L’article 4 précise : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Les circonstances de ma vie professionnelle m’ont amené à travailler dans une vingtaine de pays du Sud, que ce soit en Afrique ou en Asie. Une évidence m’est toujours apparue en côtoyant ces citoyens et citoyennes : la fameuse Déclaration n’est pas la leur. Elle est celle de l’homme et du citoyen occidental. La liberté dont il y est question est fondamentalement une liberté individuelle : « je fais ce que je veux, et je décide en fonction de mes propres intérêts… ». Cette liberté individuelle a bien sûr aussi du sens pour les citoyen·nes du Sud, mais souvent, elle ne trouve alors ce sens que dans une autre dimension : la liberté collective.

La liberté collective est celle qui s’exerce au profit de la collectivité, dans un contexte de solidarité. Elle peut s’exercer en harmonie avec les libertés individuelles, mais elle peut aussi entrer en conflit avec celles-ci.

Les libertés individuelles correspondent aux libertés « fondamentales » : la liberté de circulation, la liberté de culte et la liberté de conscience, la liberté d'opinion (liberté de pensée et liberté d'expression), la liberté économique, la liberté contractuelle. etc.

Certaines libertés sont reconnues comme étant collectives, car elles se vivent à un niveau collectif : la liberté d'association, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté de la presse et de tous les médias, la liberté syndicale et le droit de représentation, le droit de grève, etc.

Toutes ces libertés sont importantes, doivent être protégées, défendues et rester inaliénables. Elles s’opposent parfois inévitablement. Lorsqu’une manifestation a lieu quelque part dans une zone habitée, elle porte souvent atteinte à la liberté de circulation de ceux qui ne manifestent pas. Lorsque quelqu’un choisit d’exercer de manière entrepreneuriale sa liberté économique en faisant du profit à tout prix, il est fort probable qu’il tentera de réduire, voire d’empêcher, la liberté syndicale de se concrétiser. Etc.

L’opposition de ces libertés est inévitable, parce que même si elles sont qualifiées parfois de « collectives », toutes ces libertés restent individuelles et vécues comme telles, comme un droit qui ne peut être retiré à l'individu : si je veux m’associer, c’est mon droit ; si je veux manifester, on ne peut pas m’en empêcher ; etc. Le principe reste : « je fais ce que je veux, et je décide en fonction de mes propres intérêts… ».

Pourtant, n’y a-t-il pas place pour ce que j’appellerais la « liberté vulnérable solidaire » (en écho au texte Vulnérable ou solidaire : quelle liberté face à la covid ? de Céline Ehrwein, découvert alors que j’écrivais mon billet) ?

Nous sommes tous vulnérables, puisque – à tout moment – nous pouvons être malades, blessés, morts… Nous sommes tous solidaires, car à aucun moment nous ne pouvons vraiment vivre seuls, indépendamment des autres. La liberté vulnérable solidaire est cette possibilité qui nous appartient d’assumer pleinement à la fois cette vulnérabilité et cette solidarité. C’est toujours une question de choix. L’immense majorité réalise naturellement ce choix lorsqu’il s’agit de ses proches : qui, se sachant probablement positif à la Covid, se rendrait chez ses grands-parents qu’il sait vulnérables ?

Toutes les contraintes réelles qui nous ont été imposées dans le cadre de cette pandémie ne prennent-elles pas une dimension différente si on se place dans la perspective de cette liberté vulnérable solidaire ? Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas en train d’écrire que nos dirigeants politiques et/ou économiques pourraient décider de n’importe quelle restriction à nos libertés ou de n’importe quelle obligation sociale. Je m’interroge simplement face aux réactions qui interprètent la moindre mesure contraignante comme une atteinte fondamentale à la liberté individuelle, voire même à la liberté collective.

Analyser la gestion de cette crise à travers le prisme de la liberté vulnérable solidaire n’offre-t-il pas une autre grille de lecture et d’action, plus « libératrice » justement ?