samedi 27 juin 2015

Les petits riens

L’espoir © Claude Théberge

Y a la trace d’une larme

Dans les yeux de l’ami

Qui se fait du souci

Lors d’un départ aux armes

Y a le regard aigri

De ce père qui s’inquiète

Quand son fils le rejette

Se sentant incompris 

Y a ce brin de tristesse

Quand la terre se révolte

De manière désinvolte

En montrant nos faiblesses

Y a cet abattement

De se sentir vidé

Avant de retrouver

L’insouciance de l’enfant

La vie est loin d’être une partie de plaisir. La joie des uns fait parfois naître la tristesse des autres. Il suffit d’une fille d'un autre qui réussit brillamment une étape de son parcours scolaire pour qu’on sente toute la difficulté d’assumer les échecs répétés d’un fils qui demeure fils chéri, malgré les désillusions. Il suffit d’une violence aveugle et stupide pour qu’on craigne la détente tant attendue. Il suffit d’un moment passager de solitude triste pour imaginer qu’il n’y a que le vide, partout.

Ce sont les petits riens de la vie. Ils ne sont rien. Mais ils font tout. Ils sont petits. Mais c’est à travers eux qu’on grandit. Ils ne font que passer, souvent ils sont déjà passés. Ils rôdent sans qu’on les identifie vraiment. Ils nous submergent parfois. Pourtant…

Pourtant, c’est à travers eux – souvent – qu’on communie avec le sens profond de notre vie. La désillusion devient l’occasion de se rapprocher. La violence externe et extrême permet de se resserrer autour d’un projet commun. Le vide débouche – sans qu’on sache trop comment – vers le plein délié qui crée le tout.

On se retrouve alors sans l’avoir voulu comme un enfant qui s’extasie devant le vol d’un papillon, devant la douce harmonie d’une bulle qui plane avant de s’éclater, devant la beauté éphémère de cette fleur insignifiante qui devient trésor parce qu’on l’offre à l’être qu’on aime. Et la vie reprend son cours.

Qu’est-ce qui fait vivre la vie


Qui nous porte au-delà de nous

Qu’est-ce qui nous rend fou

Qui nous donne autant d’envie


samedi 20 juin 2015

Aquarelle

Une nuit, celle du 8 décembre 1973, mon frère Étienne eut la mauvaise idée de vouloir tourner à gauche sur une voie fortement fréquentée. Il n’y avait pourtant pas grand monde sur la route. Il s’est néanmoins arrêté avant d’entamer son tournant. Deuxième mauvaise idée. Le conducteur de la voiture qui le suivait n’a pas très bien compris et n’a rien trouvé de mieux que de défoncer la Coccinelle bleu ciel de mon frangin. Résultat : un frère tétraplégique. Ça vous change la vie !

Un autre jour – ou peut-être une nuit –,, je ne sais pas exactement quand, Étienne a décidé de se mettre à la peinture, à l’aquarelle plus précisément. Jusque là, il ne s’était pas vraiment montré intéressé par l’art pictural. Mais il eut quand même l’idée de s’y mettre et, alors même qu’il n’avait plus la maîtrise de ses doigts, juste un peu celle de ses bras, il explora avec passion ce nouvel univers.

Une autre nuit encore, celle du 27 mars 2000, sans qu’il l’ait vraiment voulu je crois, même s’il l’avait sans doute espéré plus d’une fois, son corps le lâcha complètement et il partit on ne sait où, mais plus ici. Il est toujours vivant – quotidiennement – dans le cœur de ses frères et sœur, et sans doute aussi dans celui de certain(e)s de ses ami(e)s. Même s’il n’est plus là pour le savoir.

Ses aquarelles sont restées parmi nous. Troublantes. Fortes. Lumineuses. Avec une constante : la femme. Ben tiens, ce n’est pas parce qu’un imbécile a fait en sorte qu’un corps ne puisse plus se livrer au plaisir de la chair que les fantasmes, les désirs, les rêves disparaissent comme par enchantement sordide ! Étienne ne pouvait plus. Alors, il a sublimé, de la plus belle des manières.

Cette aquarelle toute simple se trouve dans le hall d’entrée de notre maison. Chaque fois que j’y rentre, je la vois. Dans sa simplicité. Dans son évidence. Dans sa tendresse. Et souvent, je me laisse emporter vers ce soleil et cette terre au bout de l’horizon. Accompagné de mon frère, Étienne. Vers la vie !

mardi 16 juin 2015

Examens iconoclastes

© Sébastien Jacqmin

Après une fuite ayant conduit à l’annulation de l’épreuve d’histoire du CESS (Certificat d’enseignement secondaire supérieur), voici ce soir qu’une autre fuite apparaît pour l’examen de néerlandais du CE2D, examen de fin de 4e année du secondaire, pour le moment non obligatoire. Ça fait désordre. Mais finalement, personne ne semble se poser la question iconoclaste et pourtant fondamentale : à quoi bon toutes ces « épreuves externes » ?

La Communauté française de Belgique est à cet égard un phénomène totalement unique dans le monde. La Belgique l’était déjà en son temps : depuis des lustres, il n’existait dans le système éducatif belge aucune épreuve de certification externe. Les élèves étaient bien certifiés en fin de leurs études primaires ou secondaires. Mais la décision de certification appartenait aux équipes éducatives locales qui organisaient le processus d’évaluation en fonction de leur réalité et de celles des élèves. Il existait bien sûr une procédure officielle d’homologation, mais celle-ci était plus formelle qu’autre chose.

Puis, vinrent les épreuves PISA, avec des résultats catastrophiques. La caractéristique essentielle du système éducatif francophone belge était une « distribution bimodale » des résultats. Cela signifie qu’il y avait pas mal de bons, voire de très « bons » élèves. Mais à côté de cela, il y avait aussi beaucoup, voire très beaucoup de « mauvais » élèves. Ceux-ci faisaient vachement descendre la moyenne et la Communauté française de Belgique se montrait ainsi un des cancres des pays de l’OCDE. Il fallait réagir. On est bien d’accord là-dessus.

La solution qui a été trouvée et qui est mise en œuvre aujourd’hui – non sans difficulté ! – est de multiplier les thermomètres. On a donc instauré toute une série d’épreuves externes permettant d’évaluer les mêmes compétences chez tous les élèves et censées donc harmoniser les niveaux de maîtrise. L’introduction fut progressive, en passant d’une passation facultative et volontaire à une passation obligatoire seule à même de délivrer les certificats : CEB pour la fin du primaire, CE1D pour la 2e année du secondaire, CESS pour la fin du secondaire et CE2D pour la 4e année du secondaire.

Cette obsession de l’évaluation externe – partagée apparemment par tous les partis du paysage politique belge – est à contre-courant de ce qui se passe un peu partout dans le monde. Même la France, où le Bac est une véritable institution républicaine, a supprimé l’évaluation externe à la fin de l’école primaire et a introduit un contrôle continu jouant un rôle actif dans la décision de certification. Quant à la Flandre, la situation est simple : ce sont toujours les équipes éducatives locales qui sont responsables du processus d’évaluation certificative, ce qui n’empêche pas le système éducatif flamand d’être parmi les plus performants de l’OCDE. Sans compter que les pays nordiques, dont la Finlande, sont reconnus comme les meilleurs européens en matière d’enseignement, en absence totale de système systématique d’évaluation !

Ce qui est iconoclaste, ce n’est pas la question sur la pertinence de ces examens externes. C’est leur existence ! Ils ne servent à rien et certainement pas à réduire les disparités entre les différentes écoles ou réalités éducatives. En fait, ils ne servent qu’à dépenser de l’argent, qu’à stresser les élèves, les parents et les enseignants, qu’à susciter des imbroglios tels ceux qui se révèlent aujourd’hui. Il est cependant illusoire de croire que, grâce à eux, on pourrait d’une quelconque manière harmoniser vers le haut le niveau de compétences des élèves francophones belges. Ce ne sont que des thermomètres qui ne règlent en rien les maladies dont souffre le système éducatif de la « Fédération Wallonie-Bruxelles ». Ces maladies sont profondes. Elles sont sans doute d’ailleurs plus des maladies de notre société que celles de notre système éducatif. Relevons quand même que ces maladies sont, entre autres, liées à la réalité sociale très disparate et très sélective, au manque de clarté des attendus éducatifs, à l’incohérence des orientations et des moyens mis en œuvre par les autorités et – mais c’est sans doute tout à fait iconoclaste de le penser, de le dire et de l’écrire – aux incompétences et à la démotivation d’une bonne partie du corps enseignant.

Ces difficultés ne trouveront pas de solution durable en un tour de mains. Il y a un travail de fond à réaliser, si possible sans états d’âme. On n’est pas près d’y arriver. En attendant, selon moi, la première chose à faire serait de supprimer purement et simplement toutes ces évaluations externes, surtout les « obligatoires ». Cela permettrait de dégager beaucoup de temps, d’énergie et d’argent qui pourraient avantageusement bénéficier au véritable défi de tout système éducatif : que les élèves apprennent et s’engagent dans une véritable démarche d’apprentissage !

lundi 1 juin 2015

L’intuition magique

La session 2015, consacrée au violon du Concours Reine Elisabeth, vient de se terminer avec la victoire de Lim Ji Young. Je passerai sur l’incroyable imbroglio, lors de la proclamation des résultats, qui a amené Lee Ji Yoon à croire un instant qu’elle était la grande gagnante ! Je m’attarderai par contre sur mon intuition qui fait que – depuis quatre ou cinq ans – je ne regarde jamais – pendant quelques intants furtifs – qu’un(e) seul(e) candidat(e) qui inévitablement est nommé(e) premier(ère) lauréat(e) !

À vrai dire, j’aimerais bien pouvoir regarder plus de concurrents et pendant plus longtemps. Les musiciens qui se présentent à ce concours prestigieux sont tous des virtuoses qui dévoilent une puissance musicale souvent en train d’éclore encore, mais qui correspond à une personnalité profonde et à une véritable musicalité. Mais voilà, le temps et la vie sont ce qu’ils sont. S’asseoir devant la télévision est pour moi un acte de plus en plus rare – excepté pour regarder le journal télévisé en somnolant la plupart du temps.

Alors, à chaque concours, quand ça s’y prête, j’essaie de voir au moins une prestation. D’une part, pour entendre en quoi consiste l’œuvre imposée de l’année, avec beaucoup de questions vis-à-vis de ces morceaux de musique contemporaine. Mais ça fait partie du concours. Puis, je regarde le début du concerto du musicien sur lequel je suis tombé, un peu par hasard, il faut bien le dire.

Et chaque année, le dimanche matin, quand je prends connaissance du résultat, je suis stupéfait d’apprendre que l’unique musicien(ne) que j’ai suivi(e) se retrouve grand(e) gagnant(e) du concours. J’en parlais à mon fils tout à l’heure qui tout de suite imaginait un système de paris dont il sortirait à son tour grand gagnant. Je l’ai un peu refroidi. Si je dois constater que « ça marche à tous les coups » depuis 4 ou 5 ans, je n’oserais personnellement par parier le moindre kopeck sur la validité de mon intuition, tant elle me semble due au hasard des circonstances et du moment.

En attendant les faits sont là. Étonnants. Ils me rappellent cette capacité que j’avais à l’époque où je faisais périodiquement des missions en Tunisie à faire tomber la pluie dès que j’arrivais dans ce pays où il pleut rarement et certainement pas en plein mois d’août. C’était systématique et intriguant. Rassurez-vous : je ne me crois investi d’aucun pouvoir paranormal et je considère cela comme pure coïncidence.

Quoique. Je viens de terminer un article scientifique - « Objectiver la subjectivité » - écrit à la demande d’universitaires canadiens dans le cadre d’un ouvrage collectif à propos de l’évaluation des apprentissages dans le cadre des formations artistiques. Je parle, notamment, dans cet article de la « démarche herméneutique » de l’évaluation, ou encore de la « démarche intuitive ». Elle consiste pour un évaluateur à se construire un jugement sur la personne ou l’objet évalué sur la base de différents indices recueillis de manière plus ou moins consciente. Cette démarche est en réalité utilisée très fréquemment dans toutes sortes de circonstances et sa validité est globalement assez importante. Tout se passe comme si, intuitivement, les gens sentaient les choses et les sentaient bien. Dans le domaine de l’évaluation des apprentissages, il faut évidemment se méfier de cette démarche, car le risque est grand d’accorder trop de validité à ce qui n’est finalement qu’une intuition. On voit mal un système de formation qui déciderait de « certifier », d’accorder les diplômes, sur la seule base d’une évaluation de ce type.

Il n’empêche. Je crois fondamentalement que « les gens sentent bien les choses ». Ce n’est sans doute pas une raison pour ne fonder des décisions importantes que sur la seule base de cette intuition. Et je me refuserais évidemment – on ne me le proposerait d’ailleurs jamais – de devenir le seul juge du Concours Reine Elisabeth en me contentant de venir écouter pendant un petit quart d’heure un(e) seul(e) candidat(e) qui deviendrait dès lors inévitablement vainqueur !

N’empêche, c’est troublant, non ?