samedi 15 octobre 2016

Chanter

Bob Dylan est donc le Prix Nobel de Littérature 2016. J’ai été le premier étonné de cette nouvelle, mais aussi le plus ravi. Quelle reconnaissance pour la chanson, celle de la vie. Bien sûr, les critiques n’ont pas tardé à pleuvoir, y compris de la part d’écrivains stupéfaits d’apprendre que la littérature ne se limite pas au roman intellectualisant. Par contre, Ronsard – pour n’en prendre qu’un – a dû se retourner de plaisir dans sa tombe.

S’il y a bien un mode d’expression qui fait partie de la vie, c’est la chanson. On connaît l’importance pour un enfant encore dans le ventre de sa mère d’entendre celle-ci chanter pour lui. C’est souvent par les chansons de sa mère ou de son père que l’enfant découvrira ses premières émotions artistiques, quelle que soit sa culture d’origine, et construira sur cette base sa structuration psychique.

Il n’est pas anodin non plus de constater que les personnes en fin de vie, notamment celles atteintes de la maladie d’Alzheimer, restent en contact par la mémoire intacte (paroles et musiques) de leurs chansons d’enfance. Chanter est un acte de la vie – qu’on chante soi-même, mais aussi qu’on écoute, qu’on déguste -  lors de fêtes de famille, de baptêmes, de mariages, d’enterrements, de fêtes de village, de quartier…

Oui, la chanson est un acte culturel d'être au monde au quotidien, en lien avec les autres, soi et le monde, en lien avec l’autre pilier de la culture vivante : la langue par laquelle non seulement on s’exprime, mais surtout on pense. La chanson est dès lors ce ciment qui participe à la construction de notre identité et donne ainsi à notre société sa force.

Écrire ou chanter des chansons est un acte ouvert à tous et toutes – François Béranger, mort il y a juste 13 ans, chantait « Que chacun fasse sa propre chanson ». C’est vrai, j’en suis convaincu : chacun peut créer des chansons. De là à écrire une bonne chanson, celle qui vous bouleverse au plus profond de vous-même, c’est autre chose. Dylan et tant d’autres ont fait cela.

Aujourd’hui, comme un écho aux chansons de Dylan, Julien Clerc a chanté lors de la cérémonie d’hommage aux victimes de l’attentat de Nice. « Utile ». Tout est dit. Ou plutôt chanté.


dimanche 9 octobre 2016

Sol dièse

Tout en cuisinant un dos d’églefin sur son bain d’oignon et de basilic, je jouais au piano. Je n’ai jamais appris cet instrument, mais c’est celui avec lequel je joue le plus naturellement aujourd’hui. Ma chère et tendre a choisi ce moment – avec raison – pour aspirer la maison. Mon jeu pianistique se limite pour l’essentiel à des morceaux en do majeur ou en la mineur, avec parfois des incursions vers sol majeur ou mi mineur. Et là, l’horreur survient : l’aspirateur « distille » un sol dièse insupportable.

Je dis bien un sol dièse. Moi qui suis aussi contrebassiste, je connais bien la différence entre un sol dièse et un la bémol, même si pour le piano, c’est la même note. Il y a cependant quand même un coma de différence… et c’est ce coma qui créait l’horreur, le supplice. J’ai continué à jouer. Il fallait bien donner le change, mais à chaque note jouée, je souffrais de cette incohérence fondamentale. Une telle dysharmonie est insupportable pour qui l’entend.

Que retenir de tout cela ? D’abord, qu’il suffit de peu de chose pour rendre la vie insupportable. De tellement peu de chose que ce n’est que parce qu’on y est attentif que la vie dégénère. Il aurait peut-être suffi que je ne détecte qu’un la bémol pour m’en contenter et continuer à jouer mes petites mélodies. Mais c’était un sol dièse et cela rendait l’harmonie inconvenante et massacrante. C’est la même chose dans la vie quotidienne : il suffit qu’à un certain moment un élément apparaisse comme en dysharmonie avec ce que l’on vit pour d’un seul coup rompre tout charme à la situation et basculer dans une guerre autant absurde qu’inutile. Combien de relations n’ont-elles pas ainsi sombré, simplement parce que le coma de différence allait dans le mauvais sens ?

Puis, on peut aussi surmonter l’affaire. J’ai continué à jouer tant que je le pouvais – mon poisson m’attendait ! – et j’ai simplement dit à ma belle « La prochaine fois qu’on achète un aspirateur, demandons qu’il ne soit pas en sol dièse ». Elle m’a regardé d’un œil dubitatif – finalement, ce qui compte avec un aspirateur, c’est qu’il nettoie le sol, dièse ou non – mais j’ai quand même senti dans son regard tout l’amour qui permet de déplacer des montagnes. Fussent-elles de poussière.