mardi 6 décembre 2022

Saint Football

 
Anne Derenne©2016

Les églises sont vides. Les stades de foot sont pleins. Pas besoin de faire un dessin : le foot, c’est la religion d’aujourd’hui. Il en a toutes les caractéristiques (selon Wikipédia) :

  • c’est un ensemble de croyances qui définissent le rapport de l'homme avec le sacré, une reconnaissance par l'être humain d'un principe ou être supérieur (que certains peuvent appeler Dieu, mais qui est appelé ici « ballon rond »). Celui-ci semble d'une nature supérieure à tel point qu’on lui rend un culte ;
  • le foot est un ensemble de pratiques propres à une croyance ou un groupe social, avec un véritable processus d’identité sociale ;
  • le foot se caractérise par l'adhésion à certaines croyances et convictions. En ce sens, il peut être vu comme ce qu’il y a de contraire à la raison et jugé synonyme de superstition.

Finalement, à part la question de l’au-delà, la religion foot est une évidence. Elle a ses grands-messes, ses règles que les fans doivent suivre, ses uniformes et règles vestimentaires, ses célébrations. Ses déconvenues aussi. Tout comme dans les religions « officielles », le supporter d’une équipe se définit par son appartenance au groupe auquel il s’intègre, avec tous les sentiments qui sont liés à cette démarche : de l’adoration de ses idoles jusqu’à la colère, parfois violente, lorsque celles-ci n’apparaissent plus que comme de tristes humains imparfaits dans la défaite.

Ce n’est pas moi qui le dis (mais je le pense et l’écris). Sur le site très sérieux du Soir, un article du 5 décembre m’a poussé à formaliser ce qui me semble une évidence depuis un certain temps. Dans un entretien, le journaliste Pascal Martin interroge Jessica Morton, doctorante en psychologie sociale et de la santé à l’UCLouvain sur les réactions des supporters belges après l’élimination des Diables rouges à la Coupe du Monde Qatar 2022. Il titre : « La colère des supporters, c’est l’histoire d’une identité sociale finalement déçue ». Jessica Morton confirme en insistant sur l’aspect émotionnel de l’attachement sportif. Ce qui est troublant, c’est que tout ce que dit la chercheuse pourrait très bien s’appliquer à la religion catholique. En 2022, plus de 5000 Belges ont demandé d’être débaptisés, quatre fois plus qu’en 2020 ! Un ami, impliqué dans une fabrique d’église, m’expliquait que l’assemblée dominicale se réduisait à une dizaine de personnes, en concluant qu’il était dès lors absurde de continuer à fonctionner sur le même mode d’antan. Ceux qui cherchent une communion sacrée ne vont plus à l’église, mais au stade. C’est plus animé, moins moralisateur, mais tout aussi mobilisateur, sans oublier les satisfactions qu’apporte la troisième mi-temps et autres joyeusetés.

Faut-il s’en inquiéter ? Je ne pense pas. L’être humain a le besoin de s’intégrer dans un groupe. Les religions ont souvent joué ce rôle, avec d’ailleurs toutes les dérives qui l’accompagnent. Aujourd’hui, c’est le foot, avec les mêmes dérives. L’important n’est pas, me semble-t-il, de savoir quelle est la « religion » du moment. On ne peut de toute façon rien y faire.

L’important me semble d’éviter les dérives, et ce n’est pas évident. Je respecte fondamentalement une personne qui croit sincèrement en un Dieu, quel qu’il soit, et qui se nourrit de cette foi pour être plus humain. Je respecte aussi un passionné de sport qui prend du plaisir à suivre les exploits de son équipe favorite, et qui en profite pour rencontrer dans la joie d’autres supporters, y compris s’ils supportent d’autres équipes. Le problème, dans un cas comme dans l’autre, c’est quand on en vient à s’opposer, à se croire meilleur, à vouloir imposer sa façon de voir ou de vivre… L’être humain a besoin de passions et de rencontres. Seules celles-ci comptent vraiment !

dimanche 20 novembre 2022

C'est mignon, mais…

  

Aujourd’hui, commence au Qatar cette fameuse Coupe du Monde, non sans poser beaucoup de questions. L’Union royale belge des Sociétés de Football-Association (URBSFA) a eu la bonne idée de proposer au Roi de participer à un clip de soutien à nos Diables rouges. Philippe (et son service communication) a accepté. Ça nous a valu un truc déjanté à la belge dans lequel le Roi se montre non seulement supporteur, mais prend carrément la place de l’entraîneur, prodigue ses conseils, donne le tempo, etc. Je l’avoue, j’ai souri devant ce truc bien belge.

J’ai été un des premiers à le découvrir sur la page Facebook « Monarchie belge ». Je n’ai pas pu m’empêcher de commenter : « C'est mignon. Mais il y aurait pu quand même avoir une allusion à tous les problèmes humains et écologiques que pose cette coupe du monde au Qatar » ! En écrivant cela, je disais ma perception positive et amusée tout autant que mon étonnement devant l’occultation totale des questions de fond. Je ne disais pas que Philippe aurait dû consacrer un long discours à celles-ci – faut pas rêver quand même – mais qu’il aurait pu juste faire une « allusion ». Dans ma tête, cette allusion aurait dû exister avec le même humour que le reste. Par exemple, j’aurais bien imaginé entendre Kevin De Bruyne, lorsqu’il arrive près du Roi, dire quelque chose comme « Et les droits humains ? ». Philippe aurait répondu, comme dans la vidéo : « Selon mes notes, tu dois être là-bas ». Ça n’aurait bien sûr été qu’une allusion, bien en ligne avec l’hypocrisie officielle, mais enfin, elle aurait été là. Je ne suis pas scénariste et je ne suis pas sûr que ma proposition soit vraiment humoristique, mais ça m’aurait bien plu.

Mon commentaire a entraîné bien sûr quelques réactions : une cinquantaine de réponses, la plupart négatives, et 212 réactions par émoticônes. Il est intéressant de constater les 121 « pouces levés », soit 57% des réactions : ceux qui ont apprécié mon commentaire lèvent leur pouce, ceux qui n’ont pas apprécié sont plus enclins à l’écrire ! Les autres réactions se répartissent ainsi : 45 « haha », 41 « grrr », 3 « solidaire » et même 2 « j’adore ».

Les réponses formulées sont globalement négatives. Voici une tentative très imparfaite de classement (j’ai corrigé les fautes linguistiques).

  • Celles qui me reprochent de ne pas percevoir le royal humour joyeux : « rabat-joie », « oui… mais à un moment on peut un peu se réjouir d'une initiative », « un peu de légèreté, c’est trop demander ? », « justement non, c'est tellement bien de ne pas verser dans la sinistrose . Bravo à notre Roi ».
  • Celles qui utilisent le sempiternel et inexact argument qu’il aurait fallu contester plus tôt : « déja fait antérieurement ! Et là n’est pas la question », « c’est avant qu’il fallait boycotter », « C'est trop tard, il fallait y penser avant ».
  • Celles qui narguent gratuitement : « vous n'êtes pas obligé de suivre la publication », « C’est bon, t’as gagné ton pin's d’Ecolo-humanitaire friendly, tu peux terminer tes céréales maintenant », « faudrait peut-être arrêter avec ces sempiternelles jérémiades d'écologie répétées 20 fois par jour ! ».
  • Celles qui s’aventurent un peu plus réfléchies : « on ne parle pas de la coupe du monde mais des Diables rouges ! De la Belgique, de notre monarchie… Donc votre commentaire est hors contexte ! », « Ben oui pourquoi pas, et il aurait dû boycotter la coupe, parler de la Cop 27 en Égypte, de la misère en Afrique, de l'augmentation de l'énergie, des sdf, etc. Faut pas exagérer, cher François ! », « Notre roi ne peut pas, droit de réserve de sa fonction. Cette prérogative appartient à notre gouvernement ».

Je peux me tromper dans mon analyse, mais il me semble que ces réponses ne répondent pas vraiment à mon commentaire initial. Je m’y suis sans doute mal exprimé, sans m’expliquer suffisamment. On aurait pu espérer néanmoins une meilleure lecture de ce que j’avais écrit. Cela témoigne sans doute des limites des discussions sur les réseaux sociaux : souvent, ceux qui réagissent ne lisent pas vraiment le post ou le commentaire de départ. Ils n’essaient pas vraiment d’argumenter, mais plutôt d’attaquer ou de narguer. Ils disent parfois n’importe quoi, l’objectif n’étant nullement la recherche de vérité ou d’objectivité.

Il est vraisemblable que mon propre commentaire, comme d’ailleurs ce billet sur mon blog, ne valent pas beaucoup mieux ! Si vous pensez que je cherche la petite bête, vous avez sans doute raison. Je fais comme le Roi Philippe avec ses super-jumelles ! Et bonne coupe du monde à tous, quoi que vous en fassiez !

vendredi 11 novembre 2022

Vandalisme… ou éveil des consciences ?

 

Ces derniers temps, plusieurs jeunes – un peu partout dans le monde – s’en sont pris à des œuvres d’art en dispersant potages ou autres tomates et en se collant aux murs ou aux cadres dans l’objectif de dénoncer l’apathie des pouvoirs publics face à l’aggravation des changements climatiques.
 
Il faut bien reconnaître que ces actes ont été mal perçus par la plupart des gens, non seulement par les « bien-pensants », mais aussi par des personnes dont l’engagement dans la lutte pour le climat est évident. Certains, beaucoup – dont notre premier ministre belge – n’ont pas hésité à parler de vandalisme ! Étonnant !
 
Plusieurs constats.

  • Les activistes ont toujours choisi des œuvres d’art célèbres et donc protégées. Aucune peinture n’a – à ce jour – été réellement endommagée. D’habitude, on parle de vandalisme quand il y a vraiment des dégâts. Ici, il n’y en a pas.
  • Les activistes ont cherché chaque fois à se coller soit au tableau lui-même, soit au mur voisin. Se coller, c’est par définition ne pas chercher à fuir. C’est assumer pleinement l’action qu’on fait. D’habitude, les vandales essaient plutôt de fuir, de se cacher le visage, etc. Ici, ils se collent.
  • On a beaucoup parlé de ces actes, surtout pour les dénoncer : ah, ces sales vandales qui s’en prennent à des œuvres d’art, joyaux de l’humanité ! Les médias ont moins mis en avant la question que les activistes posent. Celle-ci a pourtant clairement été posée par les deux premières jeunes-filles. Elles demandent : « pourquoi est-il plus important de protéger des œuvres d’art que de protéger l’humanité ? » Si on accepte de réfléchir sereinement à cette question, on ne peut arriver qu’à une évidence : ces jeunes activistes ont raison.

Le vandalisme, ce n’est pas de s’en prendre à la vitre qui protège une œuvre d’art, même si celle-ci est effectivement un joyau de l’humanité. Le vandalisme, c’est de considérer que ces joyaux de l’humanité sont plus à protéger que l’humanité elle-même. Or, quand il n’y aura plus d’humains, à quoi serviront encore ces œuvres d’art ?
 
La question aujourd’hui n’est pas de savoir si la Terre survivra ou non aux changements climatiques. La réponse est connue : la Terre survivra, y compris la vie qui l’habite.
 
La question aujourd’hui est de savoir si l’humanité survivra ou non à ces changements climatiques qui rendront la vie humaine de plus en plus difficile, voire impossible. Peut-on accepter cela sans rien faire alors qu’il y a encore moyen de faire quelque chose ? Les actions possibles deviennent de plus en plus limitées. Et on peut penser ce qu’on veut, mais elles nécessiteront de réels bouleversements dans notre manière de vivre, d’agir, d’être. Ces réels bouleversements seront cependant moindres que si on ne fait rien, à part continuer à se foutre du climat. Et donc, qu’est-ce qui est le plus important : protéger notre petit confort, dont ces sublimes œuvres d’art, ou protéger l’humanité ?
 
Une dernière réflexion : en soi, je n’approuve pas ces actions provocatoires. Mais je me dis qu’elles secouent peut-être plus les pensées, y compris des dirigeants, que les grands-messes du style de la COP27 qui se déroule actuellement en Égypte. Qui sait vraiment ce qu’il s’y raconte et ce qu’il s’y décide (ou non) ? Certainement moins de gens que ceux qui ont entendu parler du « vandalisme écologique » de ces activistes éveilleurs de conscience. Bien plus que ces actes d’éveil, le plus important devrait être les décisions de la COP27 et leur mise en œuvre réelle pour sauver l’humanité, quel qu’en soit le prix. Vous y croyez, vous ?

mercredi 19 octobre 2022

Le hérisson

 
FMG©2022

 
Tout à coup, il était là, en plein milieu de la terrasse. Il n’y était pas dix minutes plus tôt, mais il était là, c’était incontestable. Et plutôt mal en point. De loin, il semblait même ne plus bouger du tout. M’en rapprochant, j’ai non seulement vu les mouches qui l’entouraient, mais aussi qu’il bougeait encore !
 
Moi, les animaux, ce n’est pas vraiment mon affaire, pour ne pas dire que ça fait deux. Bref, j’ai contacté mes enfants pour avoir leurs conseils. Surtout, mon fils venait passer la soirée et m’a dit qu’il s’en occuperait. Ce qu’il fit effectivement. Il semblait à nouveau totalement immobile et nous nous préparions à lui donner une sépulture décente. Mais l’évidence était là, il vivait encore, le bougre, malgré des taches jaunes ou vertes qui ne présageaient rien de bon !
 
Il était tard, mon fils lui a préparé un endroit douillet, protégé des mouches, pour qu’il puisse – pensions-nous – partir en paix. Le lendemain, il était encore recroquevillé sur lui-même, mais respirant clairement.
 
Ma fille se dit alors qu’il était peut-être simplement en train de commencer son hibernation. Remarque pertinente, mais pourquoi viendrait-il se placer en plein milieu de la terrasse ? Et il avait l’air quand même sérieusement mal en point. Les lecteurs qui connaissent les animaux, les hérissons en particulier, sont peut-être en train de se dire : « Mais enfin, qu’est-ce que c’est ces gens qui semblent tout découvrir ? ». Ils auraient raison : notre famille était en train de tout découvrir. Y compris la nécessité d’agir.
 
Ma fille prit contact avec un centre d’accueil des animaux blessés. Ils étaient prêts à l’accueillir. Pour différentes raisons, ce n’était pas possible pour moi de faire le déplacement. Alors, ma fille mit un post sur le groupe FB local. Et miracle, quelqu’un s’est proposé de servir d’ambulancière. Merci à elle. L’opération de sauvetage était vraiment lancée. Arrivé au centre, le hérisson a tout de suite été pris en charge, mais la bénévole a un peu fait la grimace en voyant les œufs de mouche dont il était couvert. Il bougeait quand même encore un petit peu dans la boîte et les professionnels étaient prêts à tout faire pour le remettre sur pattes.
 
L’histoire n’est donc pas totalement terminée et toutes les personnes qu’elle concerne espèrent qu’elle finira bien. Personnellement, ce qui me subjugue le plus, c’est que ce hérisson est venu s’installer en plein milieu de la terrasse. Ce n’est pas vraiment un endroit pour un hérisson. C’est même un espace plutôt redouté où il se retrouve exposé à tous les prédateurs possibles. S’il est venu s’installer là, c’est qu’il venait chercher de l’aide qui ne pouvait venir que de ces géants bizarres qui se déplacent sur deux jambes. Il a trouvé cette aide, même si elle a mis sans doute trop de temps pour s’organiser. Le pauvre hérisson, il ne savait pas chez qui il venait se blottir. Il aurait été chez ma voisine, l’opération de survie aurait été beaucoup plus rapide et sans doute plus efficace. Mais voilà, c’était ma terrasse qu’il a choisie. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’interpelle et m’émeut vachement ! (Euh, « hérissonnement » plutôt !)

PS : Deux jours plus tard, nous avons appris que le petit animal n'a malheureusement pas survécu. Il était trop faible. Au moins, il n'est pas mort seul. Aurait-on pu le sauver si nous avions agi plus rapidement ? On ne le saura jamais. Mais il laissera quand même une trace dans nos cœurs.

dimanche 9 octobre 2022

Réaliser son projet

 
L’Héritage-La Magie du pain © 2022

À l’heure où les gérants de centaines de boulangerie (et autres petits indépendants) se demandent s’ils vont pouvoir continuer à vivre de leur commerce étant donné la hausse astronomique des coûts de l’énergie indispensable, une jeune fille de 23 ans vient d’ouvrir une nouvelle boulangerie à 2 km de chez moi. J’ai testé : c’est délicieux !

Jade – puisque c’est comme cela qu’elle s’appelle et se présente – a un sourire désarmant. Ce n’est pas le plus important, mais c’est peut-être ce sourire qui explique l’audace de se lancer à son âge dans une telle aventure. Certes, elle ne se lance pas dans un inconnu solitaire. Son papa Alain est lui-même boulanger depuis toujours et a déjà accompagné son fils Diego dans l’ouverture d’une autre boulangerie, sans compter qu’il fournit deux autres commerces. Jade n’est donc pas seule dans son entreprise. Il n’empêche, le papa a lui-même exprimé ses doutes, ses questions, ses craintes. Il veut tenir le coup et fournir ses pains, ses viennoiseries, ses pâtisseries… avec toujours la même qualité à ses nombreux clients, fidèles ou nouveaux.

En écrivant ce billet, je ne cherche pas à faire de publicité pour cette nouvelle boulangerie. Quoique, si vous passez par là (151, chaussée de Wavre à Grez-Doiceau), n’hésitez pas : ça en vaut la peine à tout point de vue. Je veux surtout rendre hommage à tous ces jeunes, et en particulier à toutes ces jeunes, qui n’hésitent pas à entreprendre, à saisir leur destin en main et à le faire avec enthousiasme et détermination. Notre société ne leur propose pas beaucoup de voies jubilatoires pour construire une vie. Malgré cela, ces jeunes se lancent. La plupart du temps, leur objectif est avant tout de réaliser leurs rêves, plus encore que de « gagner leur vie ». Les risques sont immenses, mais – sans les ignorer – ils·elles n’en ont cure et foncent. Parfois, leur projet débouche sur un échec, souvent perçu alors plus comme un apprentissage que comme une issue fatidique. Parfois aussi, c’est une réussite ou une promesse vers d’autres succès.

Si je parle aujourd’hui d’une boulangerie, j’aurais pu dire la même chose d’autres projets qui ne sont jamais que la mise en œuvre de rêves de celles qui vont au bout de leur démarche, par exemple Anaïs avec ArchiKids et la découverte par les enfants de l’architecture, ou Silvia avec Pigi et ses merveilleux livres autoédités pour enfants, ou encore toutes les autres rêveuses…

La boulangerie de Jade n’est ouverte que depuis deux jours, mais en voyant la file de clients qu’il y avait ce matin ainsi que le nombre de paquets commandés et prépayés, je me dis qu’en plus de son sourire, cette jeune femme doit avoir plein d’étoiles dans les yeux et qu’elle les mérite bien !

jeudi 15 septembre 2022

Foutu coronavirus

 

Il y a deux ans, Brigitte – réputée pour ne jamais être malade – ne se sentait pas en super forme. Elle se fit tester pour la Covid-19. Le résultat tomba le jeudi 17 septembre 2020 : positif. Ce fut pour nous le début de la mouise. Je fus testé le vendredi avec résultat le samedi : positif. À ce moment-là, ce fut plus dur pour moi : deux bonnes semaines de souffrance, difficile, mais sans gravité heureusement. En une semaine, Brigitte était quant à elle rétablie. C’est ce que nous croyions du moins.
 
Elle ne retrouva jamais sa forme et son énergie légendaires. Au contraire, elle se plaignit vers la fin du mois d’octobre de douleurs dans le dos. Je choisis mes mots : si les plaintes n’arrivèrent que vers la fin du mois, c’est sans doute qu’elles étaient présentes plus tôt. Avant que Brigitte ne se plaignît de quelque chose, il fallait vraiment qu’un certain temps ne se passât et que la souffrance fût difficile à supporter. Personne ne savait encore grand-chose sur la Covid-19, pour autant qu’on en sache plus aujourd’hui alors que l’OMS annonce pour la première fois une possible victoire sur ce coronavirus. Toujours est-il que notre réaction fut de mettre ces maux sur le compte de cette maladie devenue le quotidien de nombreuses personnes. Nous entendions partout que les effets négatifs pouvaient durer, apparaître plus tard, se manifester de différentes manières. Bref, nous prîmes – surtout Brigitte – notre mal en patience.
 
Quand les douleurs devinrent de plus en plus lancinantes et insupportables, nous appelâmes à l’aide la médecine, y compris les urgences. La Covid-19 continuait à faire des ravages et les seules réponses que nous obtînmes étaient que c’était vraisemblablement les suites de la maladie…
 
Noël 2020 : comme beaucoup, nous avons bravé les interdits et fêté ce réveillon en famille, quasi en cachette. Nous ne savions pas que c’était pour la dernière fois. Le 26 décembre, alors que Brigitte et moi, nous prolongions la fête en accueillant nos deux petits-enfants, la douleur devint intenable. Il fallut aller aux urgences. Sans avancement : la Covid-19 continuait à avoir bon dos, c’est le cas de le dire. Brigitte revint à la maison, avec juste quelques petits antidouleurs.
 
La perspicacité, la ténacité et la compétence de notre médecin traitant l’amenèrent, début janvier, à demander – enfin – la bonne analyse de sang, celle qui aurait dû être faite depuis longtemps. Le vendredi 8 janvier 2021, le médecin appela Brigitte : « Vous devez aller aux urgences directement, je les préviens… ». Le 12 janvier, le verdict tomba, sans grande surprise : cancer du poumon gauche. Impensable. Illogique. Inexplicable. Le 12 décembre, Brigitte nous quittait après onze mois de combat inégal.
 
Nous ne savons pas et nous ne saurons jamais quel rôle a joué le coronavirus dans cette histoire. Normalement, le cancer n’est pas la conséquence de la Covid-19. Normalement. Cette maladie a-t-elle réveillé, activé, provoqué… le cancer ? Normalement, non. Par contre, ce qui est certain, c’est que le fait que Brigitte ait fait cette maladie et celui que la pandémie faisait alors rage ont contribué à retarder le diagnostic. Deux ou trois mois de perdus. S’ils ne l’avaient pas été, cela aurait-il changé quelque chose au résultat final ? Sans doute non. Peut-être aurions-nous eu la chance de vivre quelques semaines, quelques mois, voire – pourquoi pas, on peut rêver – quelques années supplémentaires avec Brigitte. On peut spéculer, mais cela ne change rien. Brigitte n’est plus là. En écrivant cela, je pense avant tout aux 6,5 millions de personnes qui de par le monde sont définitivement parties à cause de la Covid-19.
 
Brigitte n’est pas de celles-là. Mais, aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de penser que sans ce foutu coronavirus, tout cela aurait peut-être pu être différent. Et que…


vendredi 2 septembre 2022

NewB, l’éthique vide

 

La plupart des banques ne sont que des pompes à fric, c’est bien connu. Aussi, comme beaucoup d’autres, j’ai été enthousiasmé quand est née en Belgique l’idée d’une banque « citoyenne et éthique » : NewB. J’ai été un des premiers à acheter une part de coopérateur. Plus tard, j’en ai acheté d’autres, tout comme ma femme très enthousiaste. J’ai même participé à des AG et tout ça. Bien mal nous en a pris !

En écrivant ce billet, mon objectif n’est pas de traiter le fond de ce dossier. D’autres, plus compétents, l’ont fait mieux que moi, notamment sur le Blog du Radis.  Je ne suis pas sûr que tout ce qui est écrit dans cette analyse soit totalement correct. Mais il n’y a pas de fumée sans feu, et même si la fumée était limitée, cela ferait quand même beaucoup de feu ! À lire et à méditer !

Je ne parlerai ici que de deux événements qui me concernent directement. Ils sont isolés sans doute, mais ils m’amènent néanmoins à douter de l’aspect « éthique » de cette banque.

Le premier événement ne concerne que moi. En novembre 2020, notamment à la suite de la lecture du Blog du Radis, j’ai demandé à NewB de « retirer et récupérer tout mon investissement pour des raisons personnelles ». La réponse ne se fit pas attendre longtemps : « Nous accusons bonne réception de votre mail. Toutefois, nous ne pouvons malheureusement pas répondre favorablement à votre demande de retrait (démission partielle ou démission totale) actuellement.
En effet, depuis l’Assemblée Générale de septembre 2019, l’article 10bis des statuts de NewB prévoit qu’aucun·e coopérateur·rice ne peut démissionner ou demander la réduction du nombre de ses parts entre la date d’obtention de l’agrément en tant qu’établissement de crédit, et le troisième anniversaire de l’obtention de cet agrément. C’est-à-dire qu’aucune demande de retrait ne peut être faite entre le 31 janvier 2020 et le 31 janvier 2023 ».
Je ne pouvais que constater et admettre, tout en me disant que c’était quand même spécial. Mais je me suis contenté de noter la date du 31 janvier 2023, qui se rapproche !

Le deuxième événement est lié au décès prématuré de ma femme, en décembre 2021. Il a donc fallu gérer la déclaration de succession. Dans l’actif de son patrimoine, il y avait ses parts NewB. Pas grand-chose, mais des parts quand même. Les délais pour payer les droits de succession ne sont pas discutables avec l’administration et ont été payés dès juin 2022. Les démarches pour obtenir la restitution des parts, au montant de leur valeur au moment du décès, ont été très rapidement entreprises, dès janvier. NewB nous avait d’ailleurs fourni – en vue de la déclaration de succession – le montant concerné (12,67 € par part achetée à 20 €).

C’est alors que la galère commence. NewB semble totalement dépassée par les événements : « Nous n’avons jamais fait ça ! ». Je n’en crois rien, mais c’est l’argument. On apprend ensuite qu’il faut attendre leur Assemblée générale de juin. Sans réelle raison, car cela ne devrait être qu’un acte administratif. L’AG passée, ils déclarent un jour qu’il faut que cela passe par le Comité directeur ! C’est délirant pour quelques dizaines d’euros. Tout le monde y perd son temps… Ce vendredi 2 septembre 2022, après près de 8 mois d’attente et de démarches, le remboursement est enfin effectué. Montant de la part achetée à 20 € : 9,05 €.

Que les choses soient claires : je me fous totalement du montant des parts remboursées. La seule chose que je souhaite, c’est d’être « délivré » de NewB ! Il est néanmoins interpellant de constater que ces parts investies par des milliers de citoyens ne valent plus grand-chose et que leur valeur ne fait que baisser !

Je n’ai pas tous les éléments pour analyser ces deux histoires. Mais, pour moi, il n’y a que deux explications possibles : soit NewB, la banque « citoyenne et éthique » se fout complètement des citoyens et de l’éthique, n’étant comme les autres qu’une pompe à fric ; soit elle est totalement incompétente, ce qui est sans doute plus vraisemblable mais encore plus grave.

mardi 16 août 2022

L’obsolescence lumineuse déprogrammée


FMG©2020-2022

Incontestablement, j’aime la lumière. Ce n’est pas pour rien qu’en 2006, j’ai choisi d’appeler ce blog fourre-tout « Réverbères », en écho à ma chanson Allumeur de réverbères. Allez savoir pourquoi, dans cette quête de lumières, j’ai toujours été subjugué par ces boules qui s’éclairent la nuit grâce à l’énergie qu’elles ont reçues du soleil pendant la journée. Cette transmission technico-naturelle est magique.
 
Tant que ça fonctionne. À certains moments, comme toute chose, ça rend l’âme sans qu’on sache exactement pourquoi. Ce ne sont bien sûr que quelques leds assortis de cellules photovoltaïques et d’un mini-circuit qui permet de gérer tout ça. Pas de la haute technologie. Ces lampes ne se vendent d’ailleurs la plupart du temps que dans des supermarchés à prix réduits. Pas de raison d’espérer l’éternité !
 
Celle qui apparaît dans le montage photographique ci-dessus est relativement récente, environ 5 années durant lesquelles elle a bien fait le job pour mon plus grand plaisir. Puis, du jour au lendemain, elle a refusé de se rallumer. J’avoue que ça m’a donné un coup de cafard. Une lumière de plus qui se faisait la malle, fût-elle électronique, c’était dur. Je n’ai d’ailleurs pas tardé à remplacer la boule défaillante par deux demi-boules en pleine jeunesse. Mais j’étais vexé. Pourquoi refusait-elle de s’allumer ? Et surtout pourquoi le faire du jour au lendemain ?
 
Je n’aimais pas ça et je voulais donc en savoir plus : il me fallait ouvrir la boule pour vérifier le dispositif. Sauf que c’est là que l’obsolescence programmée devient vicieuse : visiblement, cette lampe n’était pas destinée à être démontée ! Quand on veut, on peut. Une fois ouverte, je découvris l’ampleur du désastre : le fond de la boule était inondé. Tout le monde sait qu’électricité et eau ne font jamais bon ménage. Il était plus que vraisemblable que la pile rechargeable avait grillé lors d’un court-circuit fatidique. Il me suffisait de remplacer cette batterie, d’un format peu répandu évidemment. Quand on cherche, on trouve. Même s’il m’a fallu deux essais. Là, je relance tout et… rien !
 
Vexé, je l’étais. J’ai testé la batterie, elle était chargée ! Bref, je m’apprêtais à abandonner. Quand j’ai eu une réminiscence de mes cours d’électricité lors de mes latin-sciences, il y a plus de 50 ans ! Quand le fer est confronté à un milieu humide, il se transforme, en trois étapes, en oxyde de fer(III) hydraté, plus communément appelé de la rouille. Et celle-ci, comme tous les oxydes métalliques, est un très mauvais conducteur. Bref, j’ai gratté la rouille avec un bête couteau de cuisine, j’ai remis la pile et – miracle ! – le courant passait. Test dans l’obscurité : tout fonctionne. Il me reste à voir si la pile se recharge bien en vrai… et aussi à vérifier si la première pile a vraiment grillé.
 
Peu importe, ça semble fonctionner. Comme quoi, avec un peu de volonté et de patience, on y arrive. Ces appareils peuvent avoir une vie plus longue que ce qu’on imagine. C’est aussi le cas de mon amplificateur, qui – après avoir montré quelques signes de faiblesse – a retrouvé une deuxième jeunesse à la suite d’un simple nettoyage avec du « WD-40 Specialist » et qui s’apprête à fêter ses 50 ans de bons et loyaux services.
 
Ne jamais croire que tout est foutu, même quand tout l’indique. Il est (quasiment) toujours possible de déprogrammer l’obsolescence. Quand on veut, on peut. Quand on cherche, on trouve.

jeudi 11 août 2022

(In)visible

  

Lorsque je lis, il ne m’arrive pas souvent de me dire « Ah, voilà un passage à retenir ». Au contraire de mon meilleur ami, je n’ai d’ailleurs la plupart du temps aucun crayon, stylo à bille ou surligneur à côté de moi tant il est inconcevable pour moi de laisser des marques dans un livre qui aura – je l’espère toujours – une autre vie après celle que je lui accorde. Pourtant, hier, en lisant Sept jours pour une éternité de Marc Lévy, j’ai été interpellé par cette phrase « Au contraire du mal, le bien est invisible » !

Cela m’a fait directement penser aux réseaux sociaux (surtout dans les groupes locaux) où les gens passent plus de temps à se plaindre qu’à parler de bonnes nouvelles. Aussi aux informations qui semblent n’intéresser les lecteurs ou auditeurs que si elles annoncent de mauvaises nouvelles. Bref, je trouvais cette notion d’invisibilité du bien assez intéressante, tout en ne retenant pas les mots qui suivaient le dit extrait.

Ce matin, voulant retrouver ces mots sans avoir le courage de monter dans ma chambre pour me plonger dans le livre, j’ai googlelisé « le bien est invisible ». J’ai directement trouvé une citation : « Contrairement au mal, le bien est invisible. Le bien ne peut s'exprimer sans être galvaudé, perdre de son élégance ou de son sens ». Ça m’allait, sauf que la citation n’était pas attribuée à l’auteur bien connu. J’ai continué mes recherches et ai vite retrouvé le texte de Lévy : « Au contraire du mal, le bien est invisible. Il ne se calcule ni ne se raconte sans perdre de son élégance et de son sens ».

J’étais étonné et me suis demandé qui avait repris l’idée de l’autre. Sept jours pour une éternité date de 2003 alors que l’autre ouvrage a été publié, par auto-édition, en 2019. J’en ai conclu un peu rapidement qu’il y avait là un emprunt un peu léger.

Je me trompais. En réalité, cette notion du bien invisible au contraire du mal est issue d’une longue tradition religieuse, que celle-ci soit d’origine juive pour Lévy, musulmane pour l’autre auteur ou encore chrétienne où il est inutile de se vanter du bien qu’on fait (même si beaucoup ne l'ont pas vraiment compris).

Ma première réaction subodorant une forme de plagiat était totalement infondée. Pourtant, je me suis un peu enflammé. En réalité, j’ai vu le mal partout et trop rapidement.

C’est ça le problème : le bien est invisible !

mercredi 10 août 2022

Petit éloge de la chanson française

 

Didier Tronchet est décidément un auteur étonnant, prolifique et éclectique. Au départ, c’est un auteur de bandes dessinées, dans les années 1980. Raymond Calbuth et Jean-Claude Tergal. Vous ne connaissez pas ? C’est normal, mais c’est un tort. Et le tort tue. Ces BD, c’est de l’humour noir, mais surtout social. Tronchet met en scène (il le fera au cinéma aussi) des personnages dont la banalité de leur quotidien n’a d’égale que l’absurdité de la société qui la permet.

Bon, je ne vais pas raconter ici toute la vie et l’œuvre de Tronchet. La page Wikipédia qui lui est consacrée fait ça bien mieux que moi (quoique). Et d’ailleurs, j’en ai déjà parlé ici, pour présenter son merveilleux roman graphique relatant sa quête du chanteur perdu, Rémy Bé (alias Jean-Claude Rémy).

Si j’en reparle aujourd’hui, c’est justement grâce à la chanson française. Didier Tronchet est l’excellent auteur d’un ouvrage qui m’a profondément marqué : Petit éloge de la chanson française. Il m’a marqué parce que… j’aurais pu l’écrire moi-même (avec bien moins de talent). Toutes les émotions que l’auteur nous partage dans sa découverte de la chanson française sont quasiment les mêmes que j’ai vécues. Et d’abord, si pas avant tout, ce sentiment permanent d’être un peu en dehors du monde normal. Pensez donc, aimer à en devenir dingue des gens comme Jacques Brel, Maxime Le Forestier, Georges Moustaki, Hugues Aufray, Jean-Michel Caradec, Graeme Allwright, Georges Brassens, Julos Beaucarne, Philippe Chatel, Christophe, Léo Ferré… et bien sûr Jean-Claude Rémy ou bien d’autres encore, ce n’est pas le sort de tout le monde. Mais c’est celui de Tronchet… et le mien. Nous sommes au moins deux !

Vous aurez peut-être remarqué qu’il n’y a pas de femme dans cette liste. Ce n’est pas que Tronchet les ignore. Il parle de certaines d’elles (Jeanne Cherhal, Barbara, Anne Sylvestre…). Mais il lui fallait faire des choix et il les a faits. Si j’étais son éditeur, je me dépêcherais de lui demander un deuxième tome : Petit éloge de la chanson française féminine. Je suis convaincu qu’il ferait cela très bien.

Bref, ce petit livre est un régal. Si vous allez sur le site de l’auteur, vous pourrez découvrir des "playlists" qui permettent de (re)découvrir toutes ces chansons (y compris avec des voix de femmes). Personnellement, j’aurais parlé de listes de lecture, ou listes de jeu ou encore listes de plaisir… mais le monde de la chanson n’est plus tout à fait francophone. Ça ne change rien à la qualité de toutes ces chansons et encore moins à celle de cet ouvrage que je vous conseille vivement, surtout si vous êtes né·e dans les années 1950-60. Ou avant ou après d’ailleurs. La chanson française qui émeut n’a pas d’âge.

samedi 30 juillet 2022

Respect, mesdames

 

Le Tour de France pour les femmes se déroule pour le moment. Sur un vrai parcours, avec des difficultés, des surprises, des exploits, de la stratégie. Bref, une course comme une autre, intéressante de bout en bout. Mais évidemment, les « mecs » de tout bord n’hésitent pas pour sortir leurs âneries de « mâle dominant ».
 
Il y en a pour tous les goûts. Déjà, c’est toujours un étonnement d’entendre les commentateurs parler des « filles ». Que je sache, c’est officiellement le « Tour de France Femmes ». Lorsque ce sont les hommes qui courent, je n’ai jamais entendu le moindre commentateur parler des « garçons ». Alors, pourquoi parler des « filles » ? Quand c’est une course d’hommes, on parle le plus souvent des « coureurs ». Le féminin « coureuse » est reconnu depuis longtemps. Mais voilà, quand il s’agit de femmes, les commentateurs préfèrent parler de « filles ». Allez savoir pourquoi…
 
Depuis le départ du Tour, il y a eu beaucoup de chutes, parfois massives. Et les déclarations ici et là vont bon train : « C’est moins dangereux de cuisiner… », « Femmes au guidon », etc. En lisant ça, on se dit que chez les hommes, les as du vélo, il n’y a jamais de chutes, et surtout jamais de chutes collectives ! Eux au moins savent tenir leur guidon.
 
Un dernier exemple. Lors de l’arrivée de la 5e étape, à Saint-Dié-des-Vosges, l'Italienne Elisa Longo Borghini s’est trompée de route, à 500 mètres de la ligne d’arrivée : elle est partie à gauche dans la voie destinée aux voitures alors qu’il fallait aller à droite. Elle le savait et a été la première à en rire tout en perdant quelques précieuses secondes. Vous imaginez les commentaires : « Mais elle ne connaît même pas l’itinéraire, c’est une faute incroyable qui a mis tout le peloton en danger (sic)… ». Lors de la course Tirreno Adriatico de cette année, Tadej Pogacar et Remco Evenepoel, en pleine contre-offensive, se sont trompés de parcours et ont perdu du temps. Je cite : « À leur décharge, la bande plastique qui avait été installée en hauteur, pour marquer le changement de tracé, n'était pas très visible. Et les trois membres de l'organisation placés sur le bas côté dont un avec un drapeau rouge, n'étaient pas très visibles non plus. ». Bref, quand deux grands champions se trompent de parcours (et sont les seuls du peloton à le faire), c’est une erreur due aux organisateurs, etc., mais quand c’est une grande championne, elle est seule responsable et doit s’affubler d’un bonnet d’âne.
 
Alors, mesdames, je vous dis « Respect ». Ce que vous faites est extraordinaire. Vous le faites avec les mêmes exigences que vos collègues masculins, le même professionnalisme, la même audace, le même engagement. Et surtout, ne vous laissez pas abattre par la stupidité de tous ces « garçons » qui se croient encore les maîtres alors que ce ne sont que des connards.

jeudi 21 juillet 2022

La fête nationale des réseaux sociaux

 

 
Hier, mon attention est attirée par une publication sur le groupe Facebook le plus vivant de ma commune : voisins d’une des bases aériennes concernées, quoi de plus normal ! Au moment où j’écris ce billet, je n’arrête pas d’ailleurs d’entendre les avions qui se préparent (alors qu’ils ne défileront que dans deux heures). Bref, presque naïvement, je me permets de poster un premier commentaire : « Ça fait combien de litres de carburant ? »
 
Je l’avoue, cette question n’est pas purement informative. Elle reflète mes préoccupations face au coût et à la rareté des énergies fossiles et surtout à l’impact de leur utilisation sur le dérèglement climatique, difficilement niable désormais. Mais enfin, ce n’est qu’une question. La première réponse que je reçois, de la part de l’auteure de la publication, est d’ailleurs du même ordre : « Beaucoup… ». Tout est dit, sans entrer dans une quelconque polémique. Celle-ci ne va pas tarder à s’inviter !
 
Le deuxième commentaire l’introduit : « On peut bien dépenser quelques litres de carburant pour mettre à l'honneur notre armée ». Fils d'un Colonel qui a passé toute sa vie professionnelle dans l’armée, notamment comme prisonnier de guerre durant 5 ans, je pense qu’on peut bien mettre à l’honneur notre armée, d’autant plus que sa dimension sociale au service des citoyens ne fait qu’augmenter au fil des années. Faut-il dépenser pour cela quelques (milliers) de litres de carburant, je n’en suis pas convaincu dans le contexte actuel. Contribuer ainsi consciemment à la crise climatique est-il vraiment en rapport avec l’hommage à rendre à nos armées, alors même que le Roi Philippe a attiré – lors de son allocution aux Belges – leur attention sur les risques que nous courons et sur la nécessité de diminuer notre empreinte écologique ? J’en doute.
 
Le troisième commentaire attise la polémique : « Ah, les membres de la secte sont de sortie… c’est vrai qu’il y a un nid dans le BW ». Ce commentaire est vraisemblablement incompréhensible pour la majorité des citoyens. Mais de quelle « secte » parle l’auteur ? S’agit-il de belgicains insensibles aux questions climatiques ? Peu vraisemblable, d’autant plus qu’on voit mal ceux-ci réunis dans une secte…
 
On trouve peut-être une réponse dans certains commentaires qui suivent (je corrige les fautes linguistiques) : « Les écolos, vont-ils bloquer le défilé, comme ils l'ont fait avec le Tour de France ? » ou encore « Pour avoir des pilotes expérimentés, il faut tout de même qu'ils volent un certain nombre d'heures. Que cela plaise ou non aux Ecolos » ! On suppose donc que la « secte » dont il est question est « Ecolo ». Ou encore ces « Écologistes confédérés pour l'organisation de luttes originales » qui depuis 1980 animent la vie politique belge, y compris en prenant leurs responsabilités dans pas moins de quatre exécutifs (sur six) que compte notre chère Belgique, sans jamais avoir remis en question l’existence de cette fête nationale. Ni du défilé, même s’ils ne l’acclament pas pour autant.
 
Cette petite polémique n’a – heureusement – pas dégénéré. Elle en est quasiment restée là. Mais elle reflète bien ce qui se passe trop souvent sur les réseaux sociaux : une banale intervention est détournée de ce qu’elle dit, en laissant libre cours à des propos qui feraient sourire s’ils n’attaquaient pas de front des citoyens qui s’engagent – comme d’autres – pour construire un monde meilleur. Quel est donc le « dieu » ou le « gourou » qui ferait du parti Ecolo une « secte » fomentant des manifestations de blocage du défilé national ou refusant que les pilotes d’aéronefs militaires fassent leur métier ? Et surtout, comment justifier qu’une banale question « Ça fait combien de litres de carburant ? » se transforme en propos (non modérés par les administrateurs du groupe) dénigrants vis-à-vis de personnes qui essayent simplement de préserver un monde vivable pour nos enfants ?
 
Belge, c’est aujourd’hui ma fête nationale. Je crois que celle-ci peut se fêter de multiples façons. Je crois aussi, comme notre Roi, que pour que ce soit vraiment la Fête, il faut que nous vivions tout cela en « cohésion » ? Cela commence peut-être sur les réseaux sociaux.

lundi 4 juillet 2022

Voler…

 

FMG©2022
 
Voler. Au fil du vent. Dans le silence. Sans rien d’autre que l’amour de ceux et de celles qui vous entourent. Dans la plénitude de l’instant, avec en permanence le souffle de celle qui nous accompagne depuis ce clocher autour duquel nous tournons, sans jamais trop s’en rapprocher mais toujours présent. Être avec elle quelques instants au paradis.
 
Mais d’abord, arriver à l’endroit du rendez-vous. Le stress et l’attente du moment décident du retard, du mauvais choix de stationnement, de la mauvaise direction prise… dans ces lieux pourtant connus sur le bout des doigts. Ouf, on se retrouve.
 
Puis, se déplacer tous ensemble dans une jeep de l’ancien temps, avec conduite à droite pour indiquer clairement que désormais tout change : on entre dans un autre monde, perdu entre le passé, le présent et le futur. Se rapprocher de cette commune désormais mienne, pour le restant du futur ?
 
S’arrêter. Au milieu d’une prairie. Ou plutôt dans un coin reculé de celle-ci. Là où l’on peut déposer la toile, l’étendre et la déployer. Pas une mince affaire. L’énorme ventilateur se met en branle et injecte ses 6000 m3 d’air encore froid. La toile se déploie, dans toute sa splendeur jaune assortie à mon polo. Tout le monde se demande si ça va vraiment nous permettre de décoller. Mais les brûleurs dégagent leur feu. La toile se redresse. Juste le temps de monter dans la nacelle. Ma famille. Mes amis. Serrés tous et toutes près des autres. Ça y est, on décolle. En douceur. Sans même s’en rendre compte. Instantanément, entrer dans un autre univers. Dans son univers.
Voler. Au fil du vent. Dans le silence. Sans rien d’autre que l’amour de ceux et de celles qui m’entourent. Dans la plénitude de l’instant, avec en permanence son souffle qui nous accompagne. À travers tous ces chemins et toutes ces rues que nous avons parcourus à deux, en vélo, jouissant de la vie quand elle était encore là. Mais surtout, dans le cœur de ceux qui sont là, à vivre la même aventure, ses enfants et mes amis qu’elle appréciait. Le paradis existe, il suffit de voler. Au fil du vent. Dans le silence. Sans rien d’autre que l’amour de ceux et de celles qui nous entourent.
 
Atterrir. Il le faut. Tout moment a une fin, aussi merveilleux soit-il. Il ne suffit pas de décider d’atterrir… Il faut trouver le bon endroit. Notre pilote fait des merveilles, même si certains trouveront stupidement à y redire. Replier. Tout le monde s’y met. Tout est replié et rangé. Mission accomplie. Un verre de mousseux pour fêter ça, quelques dernières photos. Sans elle. Mais elle est dans la tête de chacun·e.
 
Repartir des étoiles plein les yeux et la tête définitivement dans les nuages. Nous n’avons pas volé bien haut finalement. Mais c’était un sommet dans ma vie. Je ne l’oublierai jamais. Ceux et celles qui me l’ont offert l’ont fait pour transcender ce jour d’anniversaire qui n’en fut pas vraiment un. Ce fut réussi, au-delà des mots.
 
Voler. Au fil du vent. Dans le silence. Sans rien d’autre que l’amour de ceux et de celles qui m’entourent. Surtout de celle.

lundi 27 juin 2022

Un lutrin artiste

 

Il était une fois un bête lutrin. Il n’avait jamais servi à rien, si ce n’est à « faire le job » : porter des partitions, sans se poser de questions, et puis se laisser replier, ce qui n’est pas une mince affaire, tous ceux qui s’y sont essayés vous le confirmeront. Bref, un lutrin banal, servile, ignorant même la beauté de la musique qu’il avait permis de célébrer.

C’était sans compter un spectacle que quelques passionnés avaient décidé de consacrer à Baudelaire, pour l’amour de la poésie et le plaisir de quelques spectateurs. L’histoire est incongrue et on ne peut certifier que ceux et celles qui la raconteront soient entièrement d'accord ni dignes de confiance. Mais ça se passait en juin 2022, cela n’est pas contestable.

Quelques heures avant la représentation majestueuse dans un cadre exceptionnel, il y eut – banalement – une soi-disant répétition. Un des intervenants n’étant pas sûr d’avoir mémorisé tous les textes somptueux qu’il avait à réciter ou à chanter proposa que ceux-ci soient déposés – banalement – sur ce vieux lutrin qui n’avait d’ailleurs jamais connu que ça durant sa longue vie : porter des partitions ou des textes, sans que personne ne se pose de question !

C’était sans compter la réaction d’une jeune intervenante. Ça ressemblait à quelque chose du genre :
« Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un lutrin,
Il faudrait sur-le-champ que je l’envolasse sans fin ! »
Amical : « Mais il doit dégager de mon espace
Dans ma présentation, c'est une vraie menace ! »
Descriptif : « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »

Nous crûmes comprendre que la position de ce lutrin ne seyait guère à la gente demoiselle, qui – il faut bien l’avouer – trouvait son charmant minois caché par le malheureux lutrin qui s’en trouvait désolé !

Ce n’était point le cas de l’intervenant incapable de mémoriser quelques mots baudelairiens et dont le vœu le plus intense à défaut d’être pieux était qu’on ignore ce lutrin obscur qui mettait en valeur – en voleur ? – son incapacité fondamentale…

La discussion fut vive, chacun des six autres intervenants apportant sa propre tirade pour défendre l’innommable. Las, la décision fut prise : ce malheureux lutrin serait transporté de droite à gauche, en fonction des besoins bien malicieux d’une mémoire défaillante.

Nous reprîmes donc le fil de la répétition, apaisé par ce consensus typiquement belge. Au premier voyage du lutrin, transporté avec la meilleure volonté de bien faire de l'intervenant désigné, il y eut un soubresaut ! « Ah, mais non, ce n’est pas là qu’il faut le mettre ! » Une autre intervint « Sa direction n’est pas bonne ! » Sans rien dire, une troisième se leva et vint déplacer le pauvre lutrin pour le déposer on ne sait où ni comment.

Tout le monde éclata de rire. Il fut instantanément décidé que ce lutrin deviendrait acteur de la représentation et que chacun des autres intervenants pourrait y apporter sa version. Des règles d’intervention furent cependant décidées. Question de professionnalisme quand même.

Lors du spectacle, les règles ne furent pas respectées. Mais une seule évidence restera, tant pour les intervenants que pour les spectateurs, ce lutrin minable, sans importance, devint un acteur principal qui fit naître quelques rires sincères. Pour un spectacle basé uniquement sur des textes de Charles Baudelaire, c’était en soi une gageure !

Que retenir de tout cela, pour autant qu’il faille en retenir quelque chose ? Sans aucune arrogance ou afféterie, on peut se dire qu’il suffit parfois de transformer une adversité en jouissance. Cultiver la joie, c’est parfois simplement pouvoir rire de soi-même !

dimanche 26 juin 2022

Le droit d'être femme

2022 © Jeanne-Marie Hausman

Ainsi donc, quelques hommes et femmes, six en vérité, qui n’ont d’autre légitimité démocratique que d’avoir été désigné·es juges par un Président, ont décidé de retirer l’avortement des droits constitutionnels des femmes américaines. Quelle honte !
 
À vrai dire, j’ai toujours été partagé sur le concept même d’avortement, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un droit indispensable dont toute femme doit pouvoir faire libre usage quand elle l’estime nécessaire. Cette reconnaissance fondamentale ne m’empêche pas de me dire qu’il y a chaque fois au moins une vie en péril. Mais qu’est-ce qu’une « vie » ? Et à partir de quel moment un embryon devient-il un être humain ? Comme je l’ai déjà écrit sur ce blog, je n’ai pas la réponse à cette question. Et je crois que je n’ai pas à l’avoir. Seule chaque femme, voire chaque couple concerné, peut avoir une réponse qui lui correspond, dans la situation qui est la sienne ou la leur.
 
Même si je n’ai jamais été directement concerné, mon premier contact avec l’avortement m’avait quelque peu perturbé. C’était dans les années 1970, soit bien avant la loi du 3 avril 1990 qui – en Belgique – dépénalisa l’avortement. Anne était une amie de mon amie. Elle était très jolie, le savait et en jouait. Lors d’une discussion à propos de la contraception, cette jeune fille d’environ 18 ans déclara « Moi, mon moyen de contraception, c’est l’avortement ». Il y eut comme un silence. Je ne sais pas si Anne pensait vraiment ces mots, parlait de son vécu, voulait juste provoquer… Peu importe, elle les a dits et ils étaient lourds.
 
Je crois que l’avortement est toujours la fin malheureuse d’une histoire, même si cette dernière est peut-être très belle en elle-même. Il y a des tas de raisons pour une femme de souhaiter avorter et ce n’est pas aux autres de décider si ces raisons sont bonnes ou mauvaises. Elles sont. C’est suffisant. Cela ne veut pas dire que cet acte serait banal. Non, c’est un acte médical important, résultant d’une décision difficile, et devant être accompli dans les meilleures conditions, tant sanitaires que psychologiques.
 
Refuser aux femmes ce droit fondamental de disposer de leur corps et de leur vie, est une atteinte à la dignité humaine. Donner naissance à un enfant est l’un des moments extraordinaires d’une vie. Ce don doit être une fête pour toutes les personnes concernées, en premier lieu l’enfant et la mère. Refuser à celle-ci le droit de décider si le moment est venu pour elle de réaliser cet incroyable don de soi est nier sa propre existence. C’est, en quelque sorte, ne la considérer que comme un animal tout juste bon à se reproduire, en ne lui reconnaissant que cette fonction biologique. En oubliant qu’elle n’est pas qu’une « femelle », mais avant tout une femme.

jeudi 16 juin 2022

Dites oui à la sensibilité

 

Depuis quelques mois, une publicité passe en boucle à la télévision. Elle vante les mérites d’un dentifrice avec un slogan imparable : « Dites NON à la sensibilité » ! Alors bien sûr, cette publicité parle de la sensibilité des gencives. Elle n’en demeure pas moins inacceptable !
 
Je dis OUI à la sensibilité. C’est elle qui me fait vivre. C’est elle qui me fait goûter la beauté d’un paysage, qui me fait pleurer devant la profondeur d’une voix qui chante, qui me fait sentir des éléments inattendus lors de moments improbables, qui me met en union avec tous ceux et toutes celles qui aiment, qui souffrent, qui vibrent, qui croient, qui avancent…
 
Je dis OUI à la sensibilité, car les larmes qu’elle fait naître – plus souvent qu’à son tour – dans mes yeux, avec toute leur acidité douloureuse, sont toujours des larmes de vérité, de solidarité, de communion.
 
Je dis OUI à la sensibilité, car – au-delà de l’accès au langage et au symbolisme – c’est elle qui fait de moi un être humain, capable de sentiments, y compris ceux qui font mal ou qui salissent.
 
Je dis OUI à la sensibilité, parce que sans elle, je n’existerais pas !
 
PS : Une amie des réseaux sociaux (que je n’ai jamais rencontrée) a exprimé tout cela de manière beaucoup plus profonde et nuancée que moi. N’hésitez pas à aller lire son texte.

samedi 7 mai 2022

Adieu, monsieur ; adieu, madame…

FMG©2022

En soi, je ne comptais pas parler ici de ce concert d’Hugues Aufray. Même si c’était une première pour moi, alors que c’est « avec lui » que j’ai appris à jouer de la guitare et à chanter, un peu. Mais – au moment où je ne m’y attendais pas – je me suis retrouvé une nouvelle fois dans un flot d’émotions que mes yeux n’ont pas pu gérer. Simplement, il a chanté « Adieu, monsieur le professeur ». 

C’est une chanson que je n’ai jamais aimée. Trop à l’eau de rose, voire trop mièvre. Mais dès les premières notes de la chanson, il y a eu une tempête dans mon cerveau qui m’a fait chavirer. En mars 1991, lors de ma dernière journée d’instituteur, j’ai eu droit à la rengaine, chantée par une soixantaine d’enfants. C’était une usurpation. Je n’étais pas ce « vieux maître tout ému ». J’avais 37 ans et si je quittais effectivement ces « gamins aimés tout au long de ma (courte) vie » d’instit, c’était juste pour commencer une nouvelle carrière, toujours au service de l’éducation et de la formation. En plus, ces enfants qui me fêtaient par cette chanson ne m’avaient pas vraiment connu : à la suite d’ennuis médicaux, je n’avais commencé l’année qu’en janvier. Depuis le début de l’année scolaire, ils avaient déjà eu deux autres institutrices intérimaires. Ils (re)trouvaient leur titulaire officiel qui les abandonnait aussitôt ! Vraiment pas de quoi offrir « quelques fleurs pour dire combien on vous aimait ». Je n’avais pas droit à cette chanson. Je l’ai toujours su, mais en entendant Hugues Aufray la chanter, accompagné par les voix des centaines de spectateurs, cette usurpation me tombait dessus plus que jamais.
 
En mars 1991, c’est une femme qui reprit ma classe. Leur quatrième prof en un an. Cette femme était une institutrice exceptionnelle. Elle avait accepté de relever le défi, alors qu’il changeait méchamment son rythme de vie. D’un mi-temps peinard, elle passait titulaire à temps plein. Elle a par la suite changé d’école, mais elle est restée cette institutrice dynamique et attentive au développement de chacun des enfants qui l’ont côtoyée. À la fin juin 2022, elle devait prendre sa retraite. Si quelqu’un avait droit à la chanson « Adieu, madame la professeure », c’était bien elle. Un foutu cancer est passé par là, la privant définitivement de ses six derniers mois d’institutrice merveilleuse… et de la chanson.
 
Alors, j’ai essayé… j’ai essayé de chanter en même temps que tout le monde, les larmes coulant abondamment. Mon ami Raphy qui m’accompagnait m’a demandé « Ça va ? ». J’ai dit – comme je dis souvent ces derniers mois – « Ça va aller… ».
 
Dans toutes les émotions qui se bousculaient dans mon cerveau, j’avais aussi – bien sûr – conscience que je disais adieu à mon professeur de chansons. J’ai mis presque 60 ans pour aller le voir… peu de chance qu’il attendra la même période pour me revoir. Alors, pour tout ça, monsieur, je vous dis : « Votre chanson est une daube, mais mon Dieu, qu’est-ce qu’elle est vraie ! »

jeudi 21 avril 2022

Ces petits riens qui sont tout

À vrai dire, je ne sais pas de quand date ce carton. La version la plus vraisemblable est que ma chère et tendre l’ait glissé dans ma valise lors d’une des innombrables missions que j’ai faites durant ma carrière professionnelle. Mais, je ne m’en souviens pas. Une autre possibilité, à laquelle j’aime croire, est que Brigitte ait écrit ce petit mot juste avant son départ pour un nième séjour à l’hôpital. Sans doute pas le dernier, il fut tellement inattendu. Et nous ne savions pas – quoiqu’elle le savait peut-être – que c’était le dernier.

Mais peu importe le moment. Aujourd’hui, ce carton est là, sur ma table de nuit, et je le vois chaque soir au moment où je me couche. Ce n’est pas le moment le plus facile de la journée. Se retrouver seul dans ce grand lit, avec cette place vide à côté de moi, a chaque soir un poids émotionnel lourd. Mais il y a ce carton. Qui me donne la force. Brigitte n’a pas écrit « Douce nuit », au singulier. Mais « Douces nuits », au pluriel. Elle savait qu’il y en aurait plusieurs, de nombreuses. Et elle les voulait « douces ». 

Je ne suis pas encore – mais le serais-je jamais ? – à ce stade où on sait bien sûr que l’être aimé est parti pour le grand voyage, au bout du chemin, mais où on l’accepte, où on vit pleinement cette vie qui demeure en se disant qu’elle est unique… même si l’unique n’est plus là. Mais j’ai la chance que, même sans sa présence physique, Brigitte m’accompagne. Elle est partie par la faute d’un cancer du poumon. Elle est partie parce qu’elle a arrêté de respirer, parce qu’elle ne pouvait plus respirer. Aujourd’hui, j’aime à dire que je respire de Brigitte… Et que son souffle est puissant, universel et éternel.

Lorsque je dis que je respire de Brigitte, il y a bien sûr tout le sens spirituel, philosophique et social de la formule. Mais il y a aussi ces petits riens qui sont tout. Je me suis rendu compte que, sans le vouloir, j’agis par mimétisme pour continuer à faire vivre concrètement mon aimée. Elle adorait manger de la soupe. Je n’étais pas enthousiaste. Aujourd’hui, je bois mon bol de soupe quasiment tous les jours. C’est chaque fois un moment important.

Même dans les moments difficiles, nous avons toujours aimé aller dormir au même moment. Mais nous avions des rites d’endormissement différents. Brigitte lisait dans son lit pendant que moi je m’isolais par mon casque musical pour un dernier quart d’heure de plénitude. Un vrai quart d’heure, décidé par le réglage de mon iPod. J’ai souvent constaté que le temps de lecture de Brigitte s’arrêtait quasi en même temps que celui de mon écoute. Et aujourd’hui, lorsque je me mets au lit, je lis. Inconcevable de faire autrement. Et quand j’ai fini, je passe à mon quart d’heure musical.

Ce ne sont que des petits riens, mais ils sont tout, ils font tout. J’ai eu la chance, il y a quelques années, de pouvoir mettre en musique un texte écrit par mon amie Cath. Il ne m’était pas destiné, mais je me suis permis de me l’approprier, car je savais déjà qu’il disait tout. Je l’ai déjà publié il y a longtemps, mais le voici à nouveau, dans toute sa vérité.

Petits riens
 
Tu sais, on n'est que c'qu'on est
La vie passe la vie nous fait
Des quidams au quotidien
Inquiets, agacés d'un rien,
Colère et papier de verre
Pour un p'tit grain de travers
Du sable entre les rouages
Qui nous mine et nous enrage
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.

Tu sais, on n'est que c'qu'on est
La vie glisse et nous défait
Nous démet nos certitudes
Lors des grandes solitudes
Cataclysme, raz-de-marée
La douleur dans la durée
Trie le bon grain de l'ivraie
Une main, une parole vraie
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.

Tu sais, on est ce qu'on est
La vie va et nous remet
Debout, sereins et lucides
Nus et humbles mais solides
Prêts à s'étonner d'un rien,
À saisir la joie qui vient
D'un matin clair, d'une lumière
D'un plaisir qui nous est cher
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.

Tu vois, on est ce qu'on est
La vie rit, la vie nous met
Un éclat dans le regard
Pour une rencontre, un hasard
Un autre humain qui t'émeut
Qui te touche te rend heureux
Des grains d'ambre et de lumière
Rires complices et joie claire
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.


Paroles : Catherine Poret
Musique et interprétation : François-Marie Gerard
09 2008

mardi 1 mars 2022

Être traduit en russe et en ukrainien, à quoi bon ?

 

Les auteurs francophones traduits à la fois en russe et en ukrainien ne doivent pas être nombreux, d’autant plus dans l’univers pédagogique. J’en suis ! En 1993, Xavier Roegiers et moi-même publions, aux éditions De Boeck Université, l’ouvrage Concevoir et évaluer des manuels scolaires. Ce livre a été traduit et publié en 1998 en portugais et en russe, puis en 2001 en ukrainien. Pour la petite histoire, une nouvelle édition révisée a été publiée en 2003 sous le titre Des manuels scolaires pour apprendre. Celle-ci a été traduite et publiée en 2008 en chinois !

Au-delà de la gloriole et du souvenir qu’un jour mes enfants et/ou mes petits-enfants brandiront – peut-être – en mémoire de leur (grand-)père, ces publications posent aujourd’hui des questions difficiles à éviter.

Notre livre Concevoir et évaluer des manuels scolaires a été écrit à partir d’un cadre bien particulier : en 1992, nous animions – Xavier, moi et d’autres – deux sessions de 4 semaines regroupant les participants d'une quinzaine de pays africains, asiatiques et du Pacifique. Cela se déroulait à l’École internationale de Bordeaux (EIB), qui était alors l’outil principal de formation de l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF) qui se transformera par la suite en Organisation internationale de la francophonie (OIF). Ces sessions étaient extraordinaires : il y avait à Bordeaux un brassage incroyable de responsables issus de tous ces pays ayant en commun la langue française. Joyeux mélange en soirée, mais journées d’échange et de formation incomparables. Sur la base de ce travail multiculturel, nous avons fini par formaliser notre réflexion collective dans cet ouvrage devenu une référence en la matière.

Inévitablement, les valeurs qui soutenaient notre réflexion étaient basées sur l’échange, la collaboration, la construction de compétences inclusives… Si des éditeurs russes et ukrainiens ont estimé nécessaire de traduire et de diffuser notre ouvrage, c’est assurément qu’ils pensaient que son contenu pouvait contribuer au développement pédagogique de leur pays, comme j’ai pu d’ailleurs le constater en d’autres circonstances et en d’autres lieux, au Vietnam, en Moldavie, au Sénégal, en Mauritanie, au Bénin, aux Comores, à Madagascar… et en Belgique bien sûr.

Dans toutes ces interventions, j’ai toujours cru fondamentalement que – par ce biais des manuels scolaires – j’œuvrais à l’éducation des générations futures, et à travers celle-ci à la paix. Développer les compétences des jeunes, c’est leur ouvrir la porte du respect mutuel. Comme l’a écrit Isaac Azimov, « La violence est le dernier refuge de l'incompétence ». Un être réellement compétent ne peut être que non violent.

Je ne me prononcerai pas ici sur ma position dans le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine. Si ce n’est pour dire qu’il va à l’encontre de toutes les valeurs que j’ai toujours défendues, tout au long de ma vie. Ce sont des valeurs de paix, de partage, de collaboration, de respect… Je n’ai bien sûr pas la prétention de croire que la traduction de notre ouvrage en russe et en ukrainien a pu contribuer à développer chez les enfants de ces grands peuples ces valeurs fondamentales. Je n’ai pas cette prétention, mais il me reste l’espoir… Et celui-ci s’envole méchamment dans les circonstances actuelles.

À quoi bon écrire si cela ne sert pas à mieux s’aimer ?

vendredi 18 février 2022

Liberté vulnérable solidaire ?

 

On n’a sans doute rarement autant parlé de libertés que depuis que cette crise de la covid qui a bousculé nos vies. S’il y a bien quelque chose d’évident, c’est que « nos libertés » ont été soumises à rude épreuve. Cela fait deux ans qu’on ne fait plus « ce qu’on veut », avec des tas de contraintes, justifiées ou non, acceptées par certains, refusées par d’autres jusqu’à ce « convoi de la liberté » qui a failli « déferler » sur Bruxelles. Mais de quelle liberté s’agit-il ?

Sans doute celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui date de 1789. Dès son article 1er, le ton est donné : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». L’article 4 précise : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Les circonstances de ma vie professionnelle m’ont amené à travailler dans une vingtaine de pays du Sud, que ce soit en Afrique ou en Asie. Une évidence m’est toujours apparue en côtoyant ces citoyens et citoyennes : la fameuse Déclaration n’est pas la leur. Elle est celle de l’homme et du citoyen occidental. La liberté dont il y est question est fondamentalement une liberté individuelle : « je fais ce que je veux, et je décide en fonction de mes propres intérêts… ». Cette liberté individuelle a bien sûr aussi du sens pour les citoyen·nes du Sud, mais souvent, elle ne trouve alors ce sens que dans une autre dimension : la liberté collective.

La liberté collective est celle qui s’exerce au profit de la collectivité, dans un contexte de solidarité. Elle peut s’exercer en harmonie avec les libertés individuelles, mais elle peut aussi entrer en conflit avec celles-ci.

Les libertés individuelles correspondent aux libertés « fondamentales » : la liberté de circulation, la liberté de culte et la liberté de conscience, la liberté d'opinion (liberté de pensée et liberté d'expression), la liberté économique, la liberté contractuelle. etc.

Certaines libertés sont reconnues comme étant collectives, car elles se vivent à un niveau collectif : la liberté d'association, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté de la presse et de tous les médias, la liberté syndicale et le droit de représentation, le droit de grève, etc.

Toutes ces libertés sont importantes, doivent être protégées, défendues et rester inaliénables. Elles s’opposent parfois inévitablement. Lorsqu’une manifestation a lieu quelque part dans une zone habitée, elle porte souvent atteinte à la liberté de circulation de ceux qui ne manifestent pas. Lorsque quelqu’un choisit d’exercer de manière entrepreneuriale sa liberté économique en faisant du profit à tout prix, il est fort probable qu’il tentera de réduire, voire d’empêcher, la liberté syndicale de se concrétiser. Etc.

L’opposition de ces libertés est inévitable, parce que même si elles sont qualifiées parfois de « collectives », toutes ces libertés restent individuelles et vécues comme telles, comme un droit qui ne peut être retiré à l'individu : si je veux m’associer, c’est mon droit ; si je veux manifester, on ne peut pas m’en empêcher ; etc. Le principe reste : « je fais ce que je veux, et je décide en fonction de mes propres intérêts… ».

Pourtant, n’y a-t-il pas place pour ce que j’appellerais la « liberté vulnérable solidaire » (en écho au texte Vulnérable ou solidaire : quelle liberté face à la covid ? de Céline Ehrwein, découvert alors que j’écrivais mon billet) ?

Nous sommes tous vulnérables, puisque – à tout moment – nous pouvons être malades, blessés, morts… Nous sommes tous solidaires, car à aucun moment nous ne pouvons vraiment vivre seuls, indépendamment des autres. La liberté vulnérable solidaire est cette possibilité qui nous appartient d’assumer pleinement à la fois cette vulnérabilité et cette solidarité. C’est toujours une question de choix. L’immense majorité réalise naturellement ce choix lorsqu’il s’agit de ses proches : qui, se sachant probablement positif à la Covid, se rendrait chez ses grands-parents qu’il sait vulnérables ?

Toutes les contraintes réelles qui nous ont été imposées dans le cadre de cette pandémie ne prennent-elles pas une dimension différente si on se place dans la perspective de cette liberté vulnérable solidaire ? Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas en train d’écrire que nos dirigeants politiques et/ou économiques pourraient décider de n’importe quelle restriction à nos libertés ou de n’importe quelle obligation sociale. Je m’interroge simplement face aux réactions qui interprètent la moindre mesure contraignante comme une atteinte fondamentale à la liberté individuelle, voire même à la liberté collective.

Analyser la gestion de cette crise à travers le prisme de la liberté vulnérable solidaire n’offre-t-il pas une autre grille de lecture et d’action, plus « libératrice » justement ?

samedi 22 janvier 2022

S'adapter

 

« Courage ! » Cette parole, je l’ai entendue souvent, surtout cette dernière année. Sans doute, l’ai-je prononcée moi-même, avec les meilleures intentions du monde, comme pour toutes les personnes qui manifestent ainsi leur solidarité avec celui ou celle qui est en difficultés. Pourtant, le courage, ça n’existe pas…

Bien sûr, quand on est confronté à certaines situations où il faut y aller ou ne pas y aller, face à un danger plus ou moins réel, on a besoin pour y aller de se dire « Allez, j’y vais… ». Et ce n’est pas simple. Peut-être là, y a-t-il du courage, je ne sais pas trop.

Dans la plupart des situations où on nous souhaite du « courage », celui-ci n’en est pas. Parce qu’il n’y a pas vraiment de décision face à quelque chose qui nous dépasse. Il y a – je crois, en toute humilité – seulement alors de l’adaptation.

« S’adapter ». C’est le titre du livre avec lequel je termine mes journées et commence mes nuits pour le moment. Il m’a été offert par trois de mes nièces lors des fêtes de fin d’année. Très bien écrit par Clara Dupont-Monod. Avec de belles distinctions méritées : Prix Goncourt des lycéens, Prix Femina, Choix Goncourt de l'Orient, Prix Landerneau…

Ce livre parle du courage d’enfants et d’adultes qui n’en ont pas, face à un enfant qui n’a pas vraiment d’existence. Aucun ne fait preuve de courage, mais tous s’adaptent. Sans en avoir nécessairement conscience. Dans cette adaptation, ils peuvent paraître ou non « courageux ». En réalité, il y a une situation bouleversante avec laquelle il faut vivre. Il n’y a alors qu’une seule solution : s’adapter. Ne pas le faire, c’est risquer à son tour de ne pas exister. La vie est plus forte, même si elle ne montre plus jamais sa force.

S’adapter. C’est la seule chose qu’on peut vraiment faire finalement…