À vrai dire, je ne sais pas de quand date ce carton. La version la plus vraisemblable est que ma chère et tendre l’ait glissé dans ma valise lors d’une des innombrables missions que j’ai faites durant ma carrière professionnelle. Mais, je ne m’en souviens pas. Une autre possibilité, à laquelle j’aime croire, est que Brigitte ait écrit ce petit mot juste avant son départ pour un nième séjour à l’hôpital. Sans doute pas le dernier, il fut tellement inattendu. Et nous ne savions pas – quoiqu’elle le savait peut-être – que c’était le dernier.
Mais peu importe le moment. Aujourd’hui, ce carton est là, sur ma table de nuit, et je le vois chaque soir au moment où je me couche. Ce n’est pas le moment le plus facile de la journée. Se retrouver seul dans ce grand lit, avec cette place vide à côté de moi, a chaque soir un poids émotionnel lourd. Mais il y a ce carton. Qui me donne la force. Brigitte n’a pas écrit « Douce nuit », au singulier. Mais « Douces nuits », au pluriel. Elle savait qu’il y en aurait plusieurs, de nombreuses. Et elle les voulait « douces ».
Je ne suis pas encore – mais le serais-je jamais ? – à ce stade où on sait bien sûr que l’être aimé est parti pour le grand voyage, au bout du chemin, mais où on l’accepte, où on vit pleinement cette vie qui demeure en se disant qu’elle est unique… même si l’unique n’est plus là. Mais j’ai la chance que, même sans sa présence physique, Brigitte m’accompagne. Elle est partie par la faute d’un cancer du poumon. Elle est partie parce qu’elle a arrêté de respirer, parce qu’elle ne pouvait plus respirer. Aujourd’hui, j’aime à dire que je respire de Brigitte… Et que son souffle est puissant, universel et éternel.
Lorsque je dis que je respire de Brigitte, il y a bien sûr tout le sens spirituel, philosophique et social de la formule. Mais il y a aussi ces petits riens qui sont tout. Je me suis rendu compte que, sans le vouloir, j’agis par mimétisme pour continuer à faire vivre concrètement mon aimée. Elle adorait manger de la soupe. Je n’étais pas enthousiaste. Aujourd’hui, je bois mon bol de soupe quasiment tous les jours. C’est chaque fois un moment important.
Même dans les moments difficiles, nous avons toujours aimé aller dormir au même moment. Mais nous avions des rites d’endormissement différents. Brigitte lisait dans son lit pendant que moi je m’isolais par mon casque musical pour un dernier quart d’heure de plénitude. Un vrai quart d’heure, décidé par le réglage de mon iPod. J’ai souvent constaté que le temps de lecture de Brigitte s’arrêtait quasi en même temps que celui de mon écoute. Et aujourd’hui, lorsque je me mets au lit, je lis. Inconcevable de faire autrement. Et quand j’ai fini, je passe à mon quart d’heure musical.
Ce ne sont que des petits riens, mais ils sont tout, ils font tout. J’ai eu la chance, il y a quelques années, de pouvoir mettre en musique un texte écrit par mon amie Cath. Il ne m’était pas destiné, mais je me suis permis de me l’approprier, car je savais déjà qu’il disait tout. Je l’ai déjà publié il y a longtemps, mais le voici à nouveau, dans toute sa vérité.
La vie passe la vie nous fait
Des quidams au quotidien
Inquiets, agacés d'un rien,
Colère et papier de verre
Pour un p'tit grain de travers
Du sable entre les rouages
Qui nous mine et nous enrage
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.
Tu sais, on n'est que c'qu'on est
La vie glisse et nous défait
Nous démet nos certitudes
Lors des grandes solitudes
Cataclysme, raz-de-marée
La douleur dans la durée
Trie le bon grain de l'ivraie
Une main, une parole vraie
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.
Tu sais, on est ce qu'on est
La vie va et nous remet
Debout, sereins et lucides
Nus et humbles mais solides
Prêts à s'étonner d'un rien,
À saisir la joie qui vient
D'un matin clair, d'une lumière
D'un plaisir qui nous est cher
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.
Tu vois, on est ce qu'on est
La vie rit, la vie nous met
Un éclat dans le regard
Pour une rencontre, un hasard
Un autre humain qui t'émeut
Qui te touche te rend heureux
Des grains d'ambre et de lumière
Rires complices et joie claire
C'est une broutille un caillou
Des instants de rien du tout
Mais qui sont un peu de nous
Ces petits riens qui sont tout.
Paroles : Catherine Poret
Musique et interprétation : François-Marie Gerard
09 2008
"Je respire de Brigitte" ... c'est beau
RépondreSupprimerNous aussi en te lisant, on va tous respirer un peu de Brigitte.
Merci François-Marie. Que ta journée soit belle.
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