vendredi 31 décembre 2021

Instant de lumière

Le ciel n’est pas toujours bleu.
Parfois même, les nuages cachent la pureté de l’air.

    Derrière le brouillard, les sourires continuent à se dessiner.
    Au-delà des obstacles, l’amour persiste et nourrit.
    Au travers des nœuds inextricables, la vie émerveille et se laisse saisir.

        Chaque instant de lumière illumine le chemin.


Ce message d’amour, de solidarité, de positivité a une saveur particulière cette année. Depuis 1988 (je crois), nous envoyons, Brigitte et moi, une « carte de vœux » durant le mois de décembre. Une carte qui la plupart du temps n’est pas datée. Nos vœux ne se limitent pas à une année, mais à l’éternité. Le mot « vœux » n’y est jamais écrit et le texte n’en souhaite pas vraiment en tant que tels. Ce texte s’inspire de l’illustration que nous choisissons. Un an sur deux, une photo « familiale ». Et l’autre, un dessin, un bricolage, une photo « non familiale »… Et puis un texte. C’est moi qui l’écris, mais c’est Brigitte qui le corrige et l’améliore. Chaque mot est pesé, décidé ensemble.

Plus d’une personne, plus d’une famille nous ont dit « attendre notre carte » pour y découvrir nos mots de l’année, s’en imprégner et s’en nourrir.

L’année dernière, notre carte est partie alors que la maladie de Brigitte manifestait ses premiers signes. Nous sentions bien qu’il se passait quelque chose d’important. Pour la première fois, nous avons choisi une photo prise par Brigitte : celle d’un chemin… Et notre message terminait par « Cheminons doucement ensemble ». Il faisait écho aux faire-part de naissance de nos trois enfants. Chaque fois, ceux-ci contenaient les mots « Nous cheminerons gaiement ensemble ». Dès décembre dernier, nous savions que c’était désormais « doucement » que nous cheminerions. La photo est devenue celle du « Chemin de Brigitte ».

Et nous avons cheminé doucement ensemble pendant toute cette année 2021. Je ne mentirai pas : ce ne fut pas facile tous les jours. Pendant toute cette année, jusqu’au bout, Brigitte a voulu se promener, découvrir la nature, partager son chemin, allant parfois – il faut bien l’avouer – au-delà de ses forces. Mais marcher, c’était son truc. Aller plus loin…

La fin de l’année 2021 se rapprochait. Nous voulions tous les deux finaliser notre « carte de vœux ». Le choix de la photo était évident : c’était l’année de notre « photo familiale »… et nous avions vécu ces beaux moments, tous ensemble, à Berismenil, avec une organisation sans faille de Brigitte. Et cette photo nous montrait tous en hauteur, un peu plus près du ciel, tous réunis – unis – autour de Brigitte.

Il restait à écrire le texte. Nous n’allions pas nous voiler la face devant la réalité. J’ai écrit une première version que Brigitte a corrigé en adoucissant mon propos. Nous étions d’accord, une fois de plus. Le processus était lancé, chacun faisant ce qu’il avait à faire. La dernière étape était de plier les cartes, de les mettre dans une enveloppe, de coller sur celle-ci étiquette et timbre… Tout cela, c’est Brigitte qui l’a fait, sur son lit d’hôpital. Il fallait que ça parte ! Sans nous le dire, nous savions tous les deux que c’était notre dernière carte commune. Et qu’il y avait urgence à l’envoyer.

Chaque instant de lumière illumine le chemin…

mercredi 15 décembre 2021

Des signes…

Je suis sans doute en train de vivre les moments les plus intenses de ma vie. Ma femme Brigitte nous a quittés ce dimanche pour le grand voyage, après un an de souffrance face à cette merde de cancer du poumon. Elle n’a jamais fumé la moindre cigarette (ni le moindre joint), avait une hygiène de vie irréprochable, notamment sur le plan alimentaire. Mais voilà, ça lui est tombé dessus. Elle est restée égale à elle-même (et plus encore) : battante, positive, révoltée, confiante, sans jamais se plaindre de quoi que ce soit (sauf de cette injustice flagrante).

Les faits sont là, et ils ne sont évidemment pas faciles à vivre. En plus, il y a les « signes ». En soi, je n’y crois pas trop, mais force m’est de constater qu’ils sont là.

Tout d’abord, et ce n’est pas le moindre, Brigitte est partie le jour de mon anniversaire. Ça ne facilite pas les choses évidemment. Mais pour moi, c’est son ultime cadeau ! Désormais, elle ne souffre plus. Je ne sais pas si elle respire pleinement quelque part, mais elle ne souffre plus. Et ça, c’est un soulagement immense. Merci pour ce cadeau.

Samedi, nous avons passé avec elle une journée intense. Dure, mais remplie d’amour. Brigitte était tout à fait lucide. C’est elle qui nous donnait les instructions pour la suite. Je crois qu’elle se remplissait aussi de notre amour qui lui permettait de continuer à respirer même si ça devenait de plus en plus difficile. Elle a fini par s’endormir, sereine. Je l’ai veillée longtemps, je lui ai encore dit tout ce que j’avais à dire, et puis je suis rentré.

Pendant la nuit, j’ai téléphoné pour avoir des nouvelles. Ça allait, enfin, si on peut dire… Le matin, après une tasse de café, je me suis mis en chemin pour la rejoindre. Il suffit de pousser sur le bouton Start pour faire démarrer ma voiture, achetée récemment. Quand je l’ai fait, la voiture m’a répondu « Télécommande non détectée. Approchez la clé du bouton Start ». Elle ne m’avait jamais fait ça (et ne l’a plus fait depuis). J’ai dû m’y reprendre à deux fois. Cela veut dire que par deux fois, ma « clé télécommandée » a donné un baiser à ce foutu bouton Start pour m’autoriser à démarrer. Un peu plus d’un quart d’heure plus tard, j’arrivais dans la chambre de Brigitte. Elle était partie. Je l’ai embrassée une dernière fois, suis resté seul quelques instants avec elle, puis suis allé prévenir l’infirmière que c’était fini. Elle a été stupéfaite, m’a dit qu’elle l’avait vue un quart d’heure auparavant. Croyez ce que vous voulez, mais pour moi, il est clair que Brigitte a commencé son ultime voyage au moment où j’ai cherché à démarrer. Ce baiser entre télécommande et bouton Start, c’était le dernier acte d’amour qu’elle me donnait. Merci pour ce cadeau.

Ce n’était pas le dernier « signe ». Nous avons déménagé il y a cinq ans, en arrivant dans une commune extraordinaire. Tous les deux, nous nous y sommes engagés pour y être des citoyens actifs et responsables. Chacun à sa manière et selon nos spécificités, mais en parfaite harmonie et communion. Nous partagions souvent à propos de nos engagements respectifs, parfaitement complices dans ces actions pas toujours faciles. C’était devenu une dimension fondamentale de notre amour : agir concrètement ensemble pour une société meilleure, plus solidaire et plus démocratique. Dimanche soir, événement improbable : l’éclairage public de toute la commune tombe en panne. Pas de problèmes pour les maisons. Mais le noir total dans les rues. L’évidence m’est apparue clairement : une lumière s’était éteinte le matin, et toutes les lumières de notre commune s’associaient en hommage à cette nouvelle étoile qui brille désormais au firmament. Merci pour ce cadeau.

Même si ma tête est souvent remplie d’étoiles, je me sens plutôt quelqu’un de rationnel. J’analyse, je m’informe, je critique, je doute… Mais j’ai aussi appris que les « signes » peuvent s’imposer et qu’il faut pouvoir les lire. Je n’oserais jamais affirmer que les associations que j’ai décrites ici sont la stricte vérité. Les événements sont tous réels. Les liens que j’établis sont dictés par le sens que je veux bien y mettre. Mais quand les « signes » se répètent et se multiplient – il y en a d’autres dont je ne parle pas ici – on ne peut, je ne peux que me dire qu’ils sont là, avec tout le sens qu’ils portent en eux. Et qu’ils sont porteurs eux-mêmes. Et qu’il est bon de se sentir porté.

dimanche 5 décembre 2021

Petit pipi deviendra grand

 

L’autre jour, nous recevions mon beau-frère Michel. Ayant un petit besoin anodin et sans trop me poser de questions, je me suis levé et j’ai fait comme d’habitude : dans le jardin vite fait bien fait. Quelques minutes plus tard, Michel m’a demandé : « Puis-je utiliser tes toilettes extérieures ? » Nous avons bien ri et il a reçu le précieux sésame !

Revenu à l’intérieur, il m’a dit quelque chose comme « Et voilà un acte écologique bien fait ! », tout en m’expliquant que c'était sa pratique habituelle.

Nous nous sommes lancés dans des calculs très savants. Nos besoins naturels respectifs tournent autour de quatre ou cinq occasions quotidiennes. Ce qui signifie environ 1800 fois par an pour chacun d’entre nous. Si – comme la plupart des gens – nous utilisions les lieux d’aisance intérieurs en tirant la chasse comme il se doit, cela ferait à chaque coup entre 3 ou 10 litres d’eau utilisée pour nettoyer la cuvette. Partons du principe que la chasse est bien réglée pour permettre ces petits nettoyages, on peut se fonder sur 3 litres à chaque occasion. La multiplication par le nombre d’occasions aboutit à 5400 litres annuels, soit 5,4 m3 d’eau économisés par le simple fait d’envahir le jardin pour éliminer notre liquide naturel.

Soyons de bon compte : tout le monde ne peut pas, pour d’évidentes raisons, en faire autant. Et globalement, il faut bien reconnaître que c’est plus difficile pour la plus grande moitié de l’humanité. Mais – sans aucune preuve scientifique – on peut penser qu’un quart des mecs pourrait en faire autant sans que cela ne pose de réels problèmes. Pour la Belgique, un quart des mecs, cela signifie environ 1,3 millions de personnes. Contentons-nous d’un million. Si tous ceux-là utilisaient les toilettes extérieures, on arriverait à 5,4 millions de m3 économisés par an, rien que pour la Belgique, c’est-à-dire un cinquième de la capacité du Barrage d’Eupen dont on parle beaucoup pour le moment ! Ce barrage fournit actuellement 55 000 m3 quotidiennement en eau potable. Cela veut dire qu’il me faudrait 10 ans de « besoin en extérieur » pour économiser l’eau journalière fournie par le barrage d’Eupen ! Ça peut paraître dérisoire. Mais je ne crois pas que ce le soit !

Là-dessus, je vais…

PS : il y a évidemment une erreur fondamentale et grave dans mes calculs ! Si je permets d'économiser 5,4 m3 d'eau potable par an, il me faudra non pas 10 ans, mais 10 000 ans pour atteindre la quantité quotidienne délivrée par le barrage d'Eupen ! C'est de plus en plus dérisoire, et cela reste cependant important !

jeudi 2 décembre 2021

Qui ne dit mot ne consent à rien

Il y a bien longtemps que je n’ai plus « séduit » une femme (si ce n’est ma femme, il y a une quarantaine d’années, c’était hier d’accord, mais…). Au vu de ce qui arrive à certaines personnes publiques, je me dis souvent qu’il ne doit pas être simple d’être « jeune et séduisant » aujourd’hui, qu’on soit célèbre ou non ! Comment vivre sereinement des relations d’un jour ou même de quelques jours ?

Il y a très longtemps, durant un bel été, j’étais dans un village de vacances intelligentes, rempli de jeunes, dont certain·es qui n’étaient que de passage. Il faisait chaud. La vie était intense. Il m’arrivait de faire une sieste réparatrice dans la chambre isolée dont je bénéficiais. Ce jour-là, j’étais en train de somnoler lorsque j’entendis la porte s’ouvrir. Je la sentis se glisser auprès de moi. « Elle », pas la porte ! « Elle », je ne la connaissais pas vraiment, mais – depuis son arrivée temporaire – nous avions partagé de bons moments à rire, à manger, à musiquer, à rêver… Sa présence à mes côtés pour cette sieste ne m’étonnait pas trop, ni ne me bouleversait d’ailleurs. J’étais bien, c’est tout. « Elle » semblait bien aussi. Ce qui devait arriver arriva. Ce fut un bel échange, sans fioriture. Jusqu’au moment où « elle » m’a dit : « Alors toi aussi, tu es un mec qui fait ça comme ça, sans trop s’inquiéter de l’autre, sans plus… ». Elle s’est levée… et est partie, me laissant pantois. Je ne sais même pas si je l’ai revue.

Plus de quarante ans passés, je n’en reviens toujours pas. Oui, j’avais fait ça comme ça, sans m’inquiéter, sans plus… Je n’avais (me semble-t-il) rien demandé. C’est elle qui m’avait rejoint durant ma sieste. On me dira que la porte était restée ouverte… mais personne d’autre ne l’avait jamais franchie ! Je l’appréciais. (« Elle », pas la porte !) Mais sans plus. J’étais jeune, son corps voluptueux, c’était la sieste alors qu’il faisait chaud dehors, et ce corps lascif s’était collé au mien… C’est tout.

Peu importe mon histoire finalement. Ce n’est même pas une histoire, juste un moment. Je n’avais rien demandé… et je ne suis pas sûr d’avoir obtenu quoi que ce soit. À part cette remarque « Alors toi aussi… ».

Et bien non, justement. Si c’était à refaire, je ne ferais rien. Rien de plus que ma sieste, éventuellement avec « elle » à mes côtés. Mais rien de plus. Je n’oserais pas. Je n’oserais plus. Le risque qu’elle en fasse – au moment même ou bien plus tard – une autre histoire que simplement sa petite phrase « Alors toi aussi… » serait bien trop grand. Je resterais donc coincé dans cette pseudo-indifférence qui me caractérise, au risque de passer pour un goujat pas capable d’honorer un cadeau offert. Si je me dis aujourd’hui que j’aurais été bien bête de passer à côté de ce moment de grâce juste pour la peur d’un lendemain aléatoire, je me dis aussi que c’est ce que j’aurais dû faire… et que, heureusement, je n’ai aucune notoriété !

Dans le fatras des informations qui se bousculent pour le moment, qu’on me comprenne bien : je réprouve totalement et fondamentalement tout acte imposé par un homme à une femme. Plus globalement, je condamne tout acte imposé à qui que ce soit par qui que ce soit. La difficulté est de savoir quand un acte est « imposé » ou non. Dans mon histoire, c’est « elle » qui est venue. Et c’est elle qui m’a dit après « Alors toi aussi… ». Je n’ai pas vraiment été « consentant », mais j’ai été (bien) actif, c’est évident ! Sans avoir rien cherché. Qui était « coupable » de quoi ? Aurais-je pu savoir, au début de ma sieste, qu’une femme que je ne connaissais pas vraiment allait me reprocher une attitude dont je ne me sens toujours pas responsable, mais qui fut indéniablement la mienne ?

Cette petite expérience sans lendemain m’amène à me poser des questions sur la manière dont on peut vivre sa sexualité aujourd’hui. Je ne cherche à excuser personne, surtout dans des histoires dont je ne connais que ce que l’on veut bien me faire connaître (et qui étonnamment semblent surtout toucher des personnes qui ont acquis une certaine notoriété). Plus globalement, je me dis qu’il ne doit désormais pas être simple de vivre le moment présent, juste pour le plaisir de le vivre… avec cette peur de la manière avec laquelle ce simple moment pourrait être réécrit plus tard, même quelques années plus tard pour certains. Sur la base de mon histoire, mais aussi d’autres qu’il m’est donné de connaître, je me dis de plus que les femmes n’ont pas le monopole du consentement alors même que cela semble acquis dans la manière actuelle de traiter ce type de situations. Je n'ai pas de réponse à ces questions, mais elles doivent pourrir la vie de beaucoup…