mercredi 29 août 2012

L’incroyable saga de l’été

Estimant qu’on en parlait déjà beaucoup trop, j’avais décidé jusqu’à présent de ne pas m’exprimer sur la saga de l’été : la libération conditionnelle de Michèle Martin. Mais poussé par certains de mes lecteurs, dont des Français ayant des difficultés légitimes à décoder la situation du fait de leur éloignement, je me décide. Pour l’essentiel, j’ai déjà tout dit dans mon billet « Vindicte populaire » écrit en mai 2011, lorsque pour la première fois une éventuelle libération avait été rendue publique. Je continue à assumer tous les mots écrits en ces temps-là.

L’incroyable saga de l’été 2012 nous a cependant apporté un certain nombre de nouveaux éléments.

En premier lieu, la « victimisation ». Plusieurs des victimes de Dutroux et Martin se sont largement exprimées, dont notamment Jean-Denis Lejeune. Que les choses soient claires : je partage fondamentalement la douleur de ces victimes. Celle-ci leur confère-t-il pour autant une justesse dans leur jugement ? Leur donne-t-elle des droits supérieurs à ceux du commun des mortels ? À ces deux questions, je réponds « non ». Toutes les victimes ne se sont d’ailleurs pas larmoyées : j’admire la dignité des parents de Melissa Russo, la sobriété de la maman de Eefje Lambrechts, la volonté de vie de Sabine Dardenne.

À côté de ces victimes volontairement en retrait, essayant sans doute avant tout de faire leur « deuil » dans le respect de la société, on en a vu d’autres surtout animées par leur esprit de révolte. Celui-ci est tout aussi respectable, la question n’est pas là. Mais ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on a forcément raison sur tous les points et qu’on est en droit d’imposer à la société certaines orientations. Les victimes ont bien sûr le droit de s’exprimer et de se faire entendre. Mais elles n’ont pas forcément raison du simple fait d’être victimes. Quand on voit l’hyper-médiatisation de Jean-Denis Lejeune, il y a de quoi se poser des questions. Non pas sur sa souffrance. Celle-ci est son histoire. Mais pourquoi être présent en permanence dans les médias, pour dire parfois tout et n’importe quoi ? Cet homme souffre, c’est certain. Mais il a aussi désormais besoin d’être omniprésent dans la presse pour surmonter sa souffrance en soignant avant tout son ego. Trop, c’est trop. Il ne semble pas le comprendre.

Cela amène à traiter une autre question : la « récupération politique » de toute cette affaire. J’en parle d’une part parce qu’on sent bien – malheureusement – que toujours le même Jean-Denis Lejeune est aussi en campagne électorale pour les élections communales du 14 octobre. Mais tous les politiciens le sont aussi. Comment expliquer que ce sempiternel Jean-Denis Lejeune soit reçu par deux ministres (Justice et Intérieur) plus encore le Premier Ministre lui-même, sans émettre l’hypothèse d’une récupération politique ? Sans compter le minable conflit lancé par Charles Michel, président du MR, accordant au PS la responsabilité politique de la libération de Michèle Martin, réécrivant ainsi l’histoire sans aucune vergogne !

Cette récupération politique essaie de suivre le mouvement populaire, évidemment. C’est un autre trait du feuilleton de l’été : le « populisme ». Le peuple a raison, envers et contre tout, simplement parce qu’il est le peuple… et donc on le caresse dans le sens du poil. Ce qui guide le « peuple » - du moins est-ce ce qu’on essaie de nous faire croire – c’est la vengeance, la loi du talion. Cette femme, Michèle Martin, a fait des horreurs – et effectivement, c’est bien le cas ! – et elle ne peut donc être elle-même que l’objet de l’horreur. Il faut la faire souffrir, la nourrir uniquement de pain et d’eau, l’humilier, la torturer… voire la tuer ! La loi primaire du talion est encore bien présente. Ce « peuple » ne semble pas se rendre compte que l’humanité s’est promue quand elle a remplacé la vengeance brutale par un système de justice – fusse-t-il imparfait – en comprenant qu’il faut prendre un minimum de recul pour juger de choses innommables et pour prendre des décisions humaines, fondées sur la reconstruction et l’espoir, plutôt que sur la punition et la négation de l’autre. Ce qui me semble assourdissant dans cette démarche « populaire », c’est que la seule réponse apportée à la violence est la violence. C’est un débat que je tiens depuis longtemps face à la peine de mort. Tant que la seule réponse qu’on peut apporter à la violence absurde d’un assassin est de lui faire à son tour le mal qu’il a fait à d’autres, on ne peut être que son égal, à savoir un assassin parmi d’autres.

Un phénomène à analyser dans ce feuilleton de l’été est aussi l’« hyper-médiatisation ». Depuis que la nouvelle d’une éventuelle libération de Michèle Martin a surgi, les medias en ont parlé en long et en large tous les jours, attisant ainsi surtout la haine et l’absence de recul, ce qui est exactement l’inverse de ce que les medias devraient faire ! Cependant, aujourd’hui, les medias ne sont plus des instruments de parole à sens unique. Un journaliste écrit un article. Celui-ci est éventuellement publié dans un journal en papier, mais la plupart du temps il paraît surtout sur Internet. Dans ce cas, tout le monde peut réagir et donner son avis, quel que soit celui-ci. Il faut bien l’avouer : c’est, la plupart du temps, parfaitement désolant. J’avoue – et c’est là un autre débat que je me refuse d’approfondir ici en ce moment – mais en lisant de nombreux commentaires, je me suis dit « Heureusement qu’on n’est pas dans une démocratie directe ! ».

Dans tout ce magma nauséabond, il y a quand même une éclaircie, qui fait que je range ce billet dans mon libellé « Lumières » ! C’est bien sûr l’attitude des Clarisses de Malonne, ces religieuses qui envers et contre tout ont décidé d’accueillir Michèle Martin, non pas dans leur Communauté, mais dans leur maison. Il fallait l’oser. Alors qu’on est aujourd’hui souvent confronté à une Église égoïste et hautaine, sertie de ses convictions morales abscondes, voilà des Sœurs qui – simplement – essaient de mettre en pratique les leçons de l’Évangile. Juste quelques paroles d’un certain Jésus-Christ : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ; « Si on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche » ; « Ce que tu as fait au plus petit des miens, c’est à moi que tu l’as fait »… Je ne veux pas ici me prononcer sur le bien-fondé ou non de ces paroles. Je constate simplement que les Clarisses de Malonne, en accueillant Michèle Martin, n’ont fait qu’essayer de les mettre en pratique. Et c’est réjouissant de voir qu’il y a encore au sein de l’Église des personnes qui, en toute humilité, se réfèrent avant tout au message évangélique et non pas à un discours aseptisé et péremptoire d’une hiérarchie morale détachée de toute réalité.

dimanche 26 août 2012

Doutes

À vrai dire, je ne sais pas trop sur quoi ou sur qui écrire, tant les événements se bousculent : les décès de Neil Armstrong, de Jean-Luc Delarue, voire même de Guy Spitaels ou de Michel Daerden ; la vraisemblable et normale – devrais-je écrire légale ? – libération conditionnelle de Michèle Martin ; la condamnation apparemment douce d’Anders Behring Breivig, champion de l’assassinat programmé ; l’improbable abandon de Lance Armstrong dans sa lutte pour faire reconnaître sa tout aussi improbable innocence ; la première victoire de la saison de Philippe Gilbert, sans compter les belles victoires du Standard ; les sempiternelles disputes linguistiques autour du Gordel ; l'extraordinaire restauration du tableau Ecce Homo par Cecilia Gimenez ; etc. De beaux sujets, sur lesquels on pourrait dire tant de choses. Sur lesquels – vraisemblablement – je prendrais sans doute une position un peu à contre-courant, on ne se refait pas !

Et pourtant, je n’ai pas trop envie de me lancer dans ces sujets. Peut-être parce qu’il est lassant de nager à contre-courant… ou de nager tout simplement !

Comme beaucoup d’autres, j’exprime des avis, mes avis. C’est un besoin pour moi. Mais est-ce un besoin fondé ? Mes avis sont-ils eux-mêmes fondés ? Comme beaucoup de monde – surtout ceux qui s’expriment à tort et à travers – j’ai l’impression de penser par moi-même. Mais est-ce le cas ? Est-il seulement possible de penser par soi-même ?

J’en doute. Je doute donc que je pense par moi-même, comme je doute que les autres puissent penser par eux-mêmes. Nous sommes tous baignés dans un bain d’informations dans lequel il est difficile de nager en gardant la tête froide. Nous pensons bien sûr nous forger notre propre opinion, mais celle-ci n’est jamais qu’influencée, voire construite, par notre entourage, nos valeurs, notre culture, notre attachement à l’un ou l’autre courant de pensée.

Faut-il s’en inquiéter ? En soi, non. Les convictions – qu’elles soient soi-disant personnelles ou incrustées dans une pensée directrice – ne sont jamais dangereuses que lorsqu’elles se drapent d’une infaillibilité aveuglante. Tant qu’on ne fait que penser – quelle que soit l’origine de nos pensées – on ne fait en fait qu’exister. « Je pense, donc je suis », écrivait Descartes. C’est plus clair en latin : « Cogito, ergo sum ». En français, « je suis » peut toujours avoir deux sens ! Et malheureusement, c’est souvent le sens de « suivre » que certains vivent dans leur pensée. N’empêche, l’être humain ne l’est que parce qu’il pense, que parce qu’il est subjectif. C’est notre grandeur de ne pas toujours être d’accord sur l’une ou l’autre question. Le même Descartes se fit le chantre du doute philosophique. On ne peut être sûr de rien… et il faut douter de tout !

Paraphrasant la chanson célèbre de Gabin « On ne sait jamais la couleur des choses, c’est tout ce que je sais, mais ça je le sais ! », je dirais que « La seule chose dont je ne doute pas, c’est que je doute ! Et encore, j’en doute ! ».


vendredi 24 août 2012

Tours défiance

Lance Armstrong devrait donc être déchu de ses 7 victoires au Tour de France. Quelle désolation !

Si c’est le cas, on ne saura sans doute jamais la vérité. Armstrong arrête – par lassitude – de se battre contre ces procédures juridiques interminables, tout en répétant qu’il est innocent et qu'il ne s’est jamais dopé. Il s’agit là d’une affirmation sans doute peu crédible, mais de deux choses l’une :
  • soit Armstrong dit la vérité et ne s’est jamais dopé. La perte de toutes ses victoires, la pire des déchéances pour un sportif de ce niveau, serait alors aussi une profonde injustice, à vous dégoûter du sport de compétition ;
  • soit Armstrong ment et s’est dopé durant ces nombreuses années. Les conséquences actuelles et futures de cette tromperie seraient dès lors légitimes, mais quel sentiment alors de gâchis, de duperie, de lâcheté, à vous dégoûter du sport de compétition.
Dans les deux cas, comment accorder un quelconque crédit à ce sport que j’adore et à cette épreuve qui me fait rêver depuis tant d’années ? Il suffit d’ailleurs de se demander qui serait déclarer des Tours dont Armstrong serait déchu ! La liste des coureurs qui figuraient sur les 7 podiums parle par elle-même : Alex Zulle, Fernando Escartin, Jan Ullrich, Joseba Beloki, Raimondas Rumsas, Alexandre Vinokourov, Andreas Klöden et Ivan Basso ! Huit coureurs qui ont tous été convaincus de dopage à un moment donné de leur carrière !

La seule solution serait donc de décider qu’il n’y a aucun vainqueur à ces sept Tours. Serait-ce seulement possible ? Et quel crédit pourrait-on encore apporter aux épreuves des autres années ? Car il ne faut pas se leurrer. Le dopage ne date pas des années Armstrong. Il existait déjà du temps des Merckx, Hinault, Indurain et autres coureurs mythiques. Je ne dis pas que ceux-ci se sont dopés. Je n’en sais rien. De toute façon, on ne peut être maintenant que dans des « Tours défiance », sans pouvoir croire qui que ce soit… sauf ceux qui ont été pris en flagrant délit et qui ont avoué ! Une petite minorité !


mardi 21 août 2012

Carabouya

FMG © 2012

Traversée rapide du marché de Louvain-la-Neuve cette après-midi. Pas grand monde. Une nouvelle échoppe attire mon regard : rien que des cuberdons, de toutes les couleurs et de tous les goûts. Ma confiserie officiellement préférée (même si parfois j’en ai un peu la nausée). Soudain, ma vue est attirée par un panneau : « carabouya » ! Je m’approche et je vois effectivement des sachets blancs remplis de carabouya ! Retour brutal dans mon enfance !

C’était à Namur. Lorsque nous y allions, il nous arrivait de nous rendre au marché du samedi matin, une ambiance que nous ne connaissions pas vraiment à Bruxelles. Le moment que je préférais était quand nous arrivions près de « Carabouya », un noir débonnaire qui vantait sa marchandise ! Et il avait bien raison.

À l’époque – c’était au début des années 60 – il n’y avait pas vraiment beaucoup de noirs dans les rues. En voir un était déjà extraordinaire, et je me demandais toujours s’il était vraiment noir ou simplement grimé de cirage ! Qu’importe, il était absolument jovial et convivial sans jamais être trivial. Et puis, il vendait du carabouya : ça ressemblait à du charbon, mais ce n’en était pas. C’était dur, au goût d’anis (je n’avais jamais entendu parler d’anis à cette époque). Parfois, ma tante nous en achetait. Et c’était le plus beau des bonheurs du monde !

J’ai continué à aimer tous les bonbons à l’anis ! En souvenir – je crois – de ce carabouya de mon enfance, aussi mystérieux que délicieux. J’en avais déjà plus ou moins retrouvé le goût dans des cuberdons à l’anis. Mais là, en voir à nouveau devant moi ! Je n’ai pas pu résister (mes dents non plus, mais ça, c’est une autre affaire).

Pour la petite histoire, la plupart de ceux qui se souviennent du carabouya et de leur(s) vendeur(s) noir(s) débonnaire(s) pensent qu’il s’agit d’une confiserie africaine. En réalité, il n’en est rien : c’est du bon belge ! Les descendants de plusieurs confiseurs en revendiquent la paternité. Ce qui est sûr, c’est qu’au vingtième siècle, ce bonbon de réglisse, mélange durci de sucre et d'anis, eut son heure de gloire vendu un peu partout sur les marchés belges, chaque fois par un noir débonnaire. Avec des slogans imparables : « Carabouya , carabouya, jamais malade, jamais mourir... Toudis crever ! ».

Pas sûr que le carabouya ait guéri qui que ce soit, mais en tout cas, aujourd’hui, il a fait – une fois de plus et de manière inattendue – mon (petit) bonheur !


mercredi 8 août 2012

Cherchez l’erreur

Trouver les 7 différences entre Wojdan Saharkhani, judoka saoudienne, Sandeep Singh, joueur de hockey indien, et Maria Sharapova, joueuse de tennis russe, ne serait pas très difficile. Trouver la ressemblance – en dehors du fait qu’ils ont participé tous les trois aux Jeux Olympiques de Londres – est plus subtil et pourtant beaucoup plus interpellant.

Ne languissons pas : ces sportifs concourent tous les trois avec un « signe religieux distinctif » ! Inutile sans doute de revenir sur le « voile » de Saharkhani qui eut un premier combat à réaliser dans ces JO : faire accepter qu’elle puisse lutter en portant le voile musulman, finalement réduit à un bonnet de bain noir. Singh, comme bon nombre de ses compatriotes, n’eut aucun problème à concourir en turban, comme tout Sikh qui se respecte. Enfin, personne n’a émis la moindre remarque sur la croix orthodoxe que Sharapova porte au cou.

Dans les trois cas – et il y en a beaucoup d’autres, notamment tous ces sportifs qui « se signent » avant de commencer leur compétition – il y a clairement la volonté de manifester son appartenance à une religion. Simplement, ce n’est pas la même religion.

Ma position est claire : ils ont tous les trois bien raison ! Pour quelqu’un qui – que ce soit de manière intime ou simplement sociale – a la « foi », il me semble évident que cette « foi » anime sa vie entièrement. Y compris donc dans sa vie sportive. Il me semble donc « normal » qu’au moment où ces sportifs vont donner le meilleur d’eux-mêmes, ils y associent – d’une manière ou d’une autre – la religion à laquelle ils se rattachent.

Pourtant, cherchez l’erreur ! De ces trois sportifs qui ont tous les trois la même démarche, seule celle de Saharkhani a posé problème et a remué toute la planète sportive ! Avait-elle seulement le droit de manifester ainsi son appartenance religieuse ? Bien sûr, les règles du judo stipulent que les concurrents ne peuvent avoir de foulard ou autre tissu, en fonction du risque d’étranglement. D’accord. Le « bonnet de bain noir » était là une bonne solution. Mais fallait-il pour autant en faire tout un foin ? On en aurait même fini par croire que vouloir porter le voile menaçait les grandes « valeurs » sportives des jeux olympiques !

Ce qu’il y a de grave, c’est qu’on ne dénonce jamais aujourd’hui les « marques extérieures religieuses » que si elles sont musulmanes. Pas de problème pour les chrétiens – pas même les nonnes qui se camouflent tout à fait dans leur habit de carmélite ou autre, ni évidemment le Pape qui se déguise comme aucun autre homme n’oserait le faire – ni pour les Sikhs, ni pour les Mormons, ni pour les Juifs, ni pour des tas d’autres religions. Mais les Musulmans, eux, sont – par définition – coupables de tous les maux !

En soi, je n’ai rien ni pour ni contre les Musulmans. Pas plus que pour ou contre les autres religions. Mais ne commence-t-on pas à dépasser les bornes en stigmatisant toujours l’Islam ? En écrivant cela, j’ai bien conscience qu’il y a actuellement au sein de cette religion, un bon nombre de fanatiques dangereux. Il y en a dans les autres religions aussi, mais ils sont moins nombreux sans doute. C’est un vrai problème. Faut-il pour autant condamner d’avance tous les Musulmans qui essaient simplement de vivre leur religion ? Cherchez l’erreur…