lundi 1 juin 2015

L’intuition magique

La session 2015, consacrée au violon du Concours Reine Elisabeth, vient de se terminer avec la victoire de Lim Ji Young. Je passerai sur l’incroyable imbroglio, lors de la proclamation des résultats, qui a amené Lee Ji Yoon à croire un instant qu’elle était la grande gagnante ! Je m’attarderai par contre sur mon intuition qui fait que – depuis quatre ou cinq ans – je ne regarde jamais – pendant quelques intants furtifs – qu’un(e) seul(e) candidat(e) qui inévitablement est nommé(e) premier(ère) lauréat(e) !

À vrai dire, j’aimerais bien pouvoir regarder plus de concurrents et pendant plus longtemps. Les musiciens qui se présentent à ce concours prestigieux sont tous des virtuoses qui dévoilent une puissance musicale souvent en train d’éclore encore, mais qui correspond à une personnalité profonde et à une véritable musicalité. Mais voilà, le temps et la vie sont ce qu’ils sont. S’asseoir devant la télévision est pour moi un acte de plus en plus rare – excepté pour regarder le journal télévisé en somnolant la plupart du temps.

Alors, à chaque concours, quand ça s’y prête, j’essaie de voir au moins une prestation. D’une part, pour entendre en quoi consiste l’œuvre imposée de l’année, avec beaucoup de questions vis-à-vis de ces morceaux de musique contemporaine. Mais ça fait partie du concours. Puis, je regarde le début du concerto du musicien sur lequel je suis tombé, un peu par hasard, il faut bien le dire.

Et chaque année, le dimanche matin, quand je prends connaissance du résultat, je suis stupéfait d’apprendre que l’unique musicien(ne) que j’ai suivi(e) se retrouve grand(e) gagnant(e) du concours. J’en parlais à mon fils tout à l’heure qui tout de suite imaginait un système de paris dont il sortirait à son tour grand gagnant. Je l’ai un peu refroidi. Si je dois constater que « ça marche à tous les coups » depuis 4 ou 5 ans, je n’oserais personnellement par parier le moindre kopeck sur la validité de mon intuition, tant elle me semble due au hasard des circonstances et du moment.

En attendant les faits sont là. Étonnants. Ils me rappellent cette capacité que j’avais à l’époque où je faisais périodiquement des missions en Tunisie à faire tomber la pluie dès que j’arrivais dans ce pays où il pleut rarement et certainement pas en plein mois d’août. C’était systématique et intriguant. Rassurez-vous : je ne me crois investi d’aucun pouvoir paranormal et je considère cela comme pure coïncidence.

Quoique. Je viens de terminer un article scientifique - « Objectiver la subjectivité » - écrit à la demande d’universitaires canadiens dans le cadre d’un ouvrage collectif à propos de l’évaluation des apprentissages dans le cadre des formations artistiques. Je parle, notamment, dans cet article de la « démarche herméneutique » de l’évaluation, ou encore de la « démarche intuitive ». Elle consiste pour un évaluateur à se construire un jugement sur la personne ou l’objet évalué sur la base de différents indices recueillis de manière plus ou moins consciente. Cette démarche est en réalité utilisée très fréquemment dans toutes sortes de circonstances et sa validité est globalement assez importante. Tout se passe comme si, intuitivement, les gens sentaient les choses et les sentaient bien. Dans le domaine de l’évaluation des apprentissages, il faut évidemment se méfier de cette démarche, car le risque est grand d’accorder trop de validité à ce qui n’est finalement qu’une intuition. On voit mal un système de formation qui déciderait de « certifier », d’accorder les diplômes, sur la seule base d’une évaluation de ce type.

Il n’empêche. Je crois fondamentalement que « les gens sentent bien les choses ». Ce n’est sans doute pas une raison pour ne fonder des décisions importantes que sur la seule base de cette intuition. Et je me refuserais évidemment – on ne me le proposerait d’ailleurs jamais – de devenir le seul juge du Concours Reine Elisabeth en me contentant de venir écouter pendant un petit quart d’heure un(e) seul(e) candidat(e) qui deviendrait dès lors inévitablement vainqueur !

N’empêche, c’est troublant, non ?

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