Mawda, tu avais le même âge qu’Élise, ma petite fille. Tes parents kurdes rêvaient d’un monde meilleur, où tu pourrais grandir dignement, loin de la pauvreté et de la guerre. Ils t’ont embarquée dans une folle aventure. Pour toi, pour ton bonheur. Des passeurs leur ont promis que tout allait bien se passer. Rien ne s’est bien passé. Vous étiez une trentaine dans une petite camionnette. Un contrôle de police. Le passeur passe outre. La police commence la poursuite. Au moins un des policiers tire sur cette camionnette qui fuit. Une balle transperce ton visage. Le rêve est brisé.
Qui est responsable de cette mort ? Il y aura sans doute une procédure judiciaire qui ne débouchera sans doute sur rien. Dans ces moments, la justice est toujours bien pauvre et ne peut jamais remonter aux vraies responsabilités.
Certains me disent ce soir que c’est ton Papa qui est le premier responsable puisqu’il t’a mis dans une situation dangereuse. La première fois qu’il l’a fait, c’est quand il t’a fait naître. On ne meurt pas si un jour on ne naît pas ! Chaque jour, 244 000 pères mettent ainsi leur nouveau-né en danger ! Pour le reste, ton Papa rêvait d’un monde meilleur, voulait t’offrir non pas le paradis, mais simplement l’espoir d’une vie plus agréable. Il a cru à des sirènes qui la lui promettaient. Il s’est juste trompé.
Ces sirènes – les passeurs – sont certainement responsables. Ce qui les intéresse, c’est de gagner de l’argent en profitant de toute cette détresse. Ils prennent des risques, mais plus que vraisemblablement l’activité est rentable. L’argent est gagné facilement au détriment de personnes perdues et fragiles. Qu’importe, tant qu’on gagne… et tant pis si d’autres perdent ! On peut espérer que la justice pourra punir sévèrement ces marchands de « bonheur » !
Le policier qui a tiré est évidemment responsable. D’autant plus que la loi est claire : si aucune menace concrète n’émane des occupants d’un véhicule, un policier n’a aucune raison d’utiliser son arme à feu. Même si le conducteur refuse d’arrêter son véhicule. Ce n’est pas moi qui le dis, mais un policier ! Celui qui a malgré tout tiré devrait être sanctionné. Mais il faut espérer qu’il ne sera pas simplement le fusible qu’on fait sauter…
Pourquoi ce policier a-t-il tiré ? Cette camionnette ne les menaçait pas. Mais, visiblement, elle transportait des migrants. Et, en Belgique comme dans beaucoup d’autres pays pour le moment, il ne fait pas bon être migrant. Tu dois comprendre, Mawda, les migrants menacent notre civilisation et viennent nous voler toute notre richesse. Les migrants sont des méchants ! Il faut à tout prix les empêcher de s’installer chez nous : nous avons tout à perdre… alors qu’eux n’ont plus rien à perdre !
Qui défend ce discours fallacieux ? Qui met en place une politique ferme, mais totalement inhumaine, qui correspond à ces mensonges ? Qui, chaque jour, organise des actions policières pour esquinter ces migrants et les citoyens qui cherchent à leur offrir juste un peu d’humanité ? Qui mise en permanence sur une criminalisation des migrants plutôt que de mettre en place une véritable politique d’immigration, ferme sans doute, mais réellement humaine, c’est-à-dire où chaque être humain, surtout s’il est faible, est considéré comme un frère ou une sœur ?
Je ne citerai pas de nom, tout en espérant – sans y croire – que ceux qui doivent se sentir concernés prendront leurs responsabilités politiques. Pour moi, clairement, tout notre gouvernement fédéral est responsable. Et avec lui, tous les gouvernements qui en font de même un peu partout en Europe ou dans le monde.
Mawda, ce soir, je n’ai aucune illusion. Ton rêve est brisé. Le mien aussi. Tes parents rêvaient pour toi d’un monde meilleur. Je rêvais aussi, pour tant d’êtres humains, d’un monde meilleur. J’ose encore espérer que ta mort réveillera quelques consciences. Mais, malheureusement, ce serait un leurre d'être naïf…
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