mardi 28 août 2007

Une lectrice

© Roxann Poppe Leibenhaut

Le texte qui suit a été écrit sur la base de la peinture mise en ligne par Lali sur son blog consacré pour l’essentiel aux lectrices. Tous les dimanches, Lali propose une illustration à partir de laquelle chacun est invité à réagir. Un jour, je me suis laissé tenter.

C’était le premier jour de soleil. Enfin ! Presque deux semaines que j’étais arrivé à la mer pour des vacances bien méritées. La pluie en avait décidé autrement. J’avais passé douze jours enfermé dans ma chambre à lire tous ces livres emportés avec moi pour passer le temps sur la plage.

J’en étais au dernier livre de Nicolas Peyrac : « J’ai su dès le premier jour que je la tuerais ». J’en étais à me dire que ce n’était pas en restant dans ma chambre, sous la pluie, que moi aussi je rencontrerais cette femme qui changerait ma vie…

Et puis, le soleil est arrivé. Dès le matin, je suis parti vers la plage. Il n’y avait pas encore grand monde. Je me suis installé, les yeux tournés vers la mer. J’adore passer une journée assis devant la mer à déguster un bon livre. Mes yeux passent des lignes du livre à la ligne d’horizon. Il y a peut-être autant à lire dans ces lettres imprimées que dans cette vaste étendue d’eau qui n’arrête pas de vivre.

Petit à petit, la plage s’est remplie. Normal : je n’allais pas être le seul à profiter de ces rayons de soleil tant attendus. Et elle est arrivée. Une femme parmi d’autres. Mais elle, elle s’est arrêtée devant moi, a bien ausculté l’endroit et s’est assise, là, en plein dans ma vue… ou en plein dans ma vie ! Elle s’est tournée vers le soleil. Peu lui importait la mer. Seul le soleil l’intéressait. Et son livre. J’ai rapidement constaté qu’elle était plongée dans « J’ai su dès le premier jour que je la tuerais », le dernier livre de Nicolas Peyrac. Elle avait visiblement un peu d’avance sur moi.

Nous lisions au même rythme, c’est-à-dire rapide. On n’est pas un grand lecteur pour rien. Mon rythme, ce jour-là, se ralentissait cependant au fur et à mesure du temps. Quand je levais les yeux, non seulement je voyais la mer et ses messages d’eau, mais je la voyais aussi, elle, ma lectrice tournée vers le soleil, ignorant la mer. Ses yeux semblaient ne jamais quitter les pages du livre. Seul son corps était tourné vers le soleil. Son corps qui, il faut bien l’avouer, me troublait. Le fin fuselage de ses jambes qui se dépliaient ou s’étendaient selon ses sensations. L’harmonieuse courbe de son sein que je ne pouvais que deviner derrière les lignes noires et blanches de son maillot, tout comme j’essayais de deviner la fin de l’histoire entre les lignes noires et blanches de mon livre. Son chapeau qu’elle tenait penché vers la mer pour mieux me laisser contempler la finesse de ses traits ensoleillés. Elle restait plongée dans son livre, mais parfois – m’a-t-il semblé – alors que j’étais plongé dans le mien, j’ai pu saisir un regard furtif tourné vers moi. La mer était à sa droite. C’est de ce côté qu’elle aurait dû regarder. Mais il me semble bien que c’était vers la gauche que ses yeux parfois se détournaient. À gauche, il n’y avait que moi.

Alors qu’une fois de plus, je regardais la mer – mais voyais-je encore autre chose qu’elle, ma lectrice ? –, elle a fermé son livre, terminé, s’est levée avec tant de grâce, a replié ses affaires et rempli son sac. Je restais là, assis, feignant de regarder la mer, mon cœur battant de manière vertigineuse. Elle a pris ses affaires, s’est élancée vers sa vie, mais s’est arrêtée un court instant à ma hauteur, m’a regardé de ses yeux lumineux et m’a dit : « La fin n’est pas ce que l’on croit ».

2 commentaires:

  1. Tu t'en sors bien mais personnellement, c'est une peinture qui ne m'aurait pas inspiré...
    Mais c'est un bon exercice qui, à mon sens n'est pas si éloigné que ça du concept des ateliers d'écriture. Je me lancerai peut-être un jour... si la toile me parle.

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  2. C'est très beau, et bien écrit : juste ce qu'il faut de dépeint pour qu'on y soit, juste ce qu'il faut de mystère pour qu'on s'en évade et prolonge les possibles...
    La fiction te va bien !
    Je ne peux pas croire que ce soit une première ? (Je parle de la fiction, pas de la lectrice !)

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