lundi 14 janvier 2013

Où sont les vrais problèmes ?

© Yann Arthus-Bertrand

Dans notre société en crise, j’entends souvent dire qu’on cache les vrais problèmes en mettant en avant d’autres éléments qui ne seraient donc pas de vrais problèmes, mais qui n’auraient d’autres buts que de cacher ceux-ci en branchant le peuple sur ces questions passionnantes mais sans aucun intérêt. Pour parler de l’actualité, ces « faux » problèmes dont on n’arrête pas de parler seraient par exemple la dotation de la Reine Fabiola, le mariage pour tous en France, les poils sous les aisselles de Miss Belgique, le populisme supposé de Bart De Wever, les soubresauts nationaux de Gérard Depardieu, la libération conditionnelle de Michelle Martin, etc.

Ceux qui dénoncent ce processus ont bien raison : il est plus simple de discuter adossé aux comptoirs des bars de sujets qui ne changent strictement rien à la vie des gens, mais qui passionnent chacun parce qu’ils sont « ouverts » en ce sens que tout le monde peut avoir son avis qui n’engage que lui. On peut donc disserter longuement, sans que cela change quoi que ce soit, et surtout sans qu’on doive changer quoi que ce soit dans sa propre vie.

Parler des milliers d’enfants qui souffrent de malnutrition ou de ceux qui, encore aujourd’hui, sont obligés de travailler comme des esclaves, discuter sur les raisons qui entraînent des êtres humains à se retrouver dans la rue sans domicile fixe, voire simplement à frôler le seuil de pauvreté, ou sur celles qui font que des familles n’ont d’autre solution pour survivre que d’immigrer dans un pays réputé plus riche ou plus libre que le leur, réfléchir sur le rôle pas toujours très catholique des institutions financières dans l’existence de la crise sociale ou sur les logiques industrielles aveugles qui contribuent au réchauffement climatique… tout cela est certainement moins agréable et plus compromettant. On ne sort jamais indemne lorsqu’on aborde de telles discussions.

Pour autant, sont-ce ces problèmes-là les « vrais problèmes » ? Car finalement, qu’est-ce qu’un « vrai problème » ? Il y en a qui sont évidents, le plus souvent liés à une catastrophe que celle-ci soit douce ou brutale. Ce sont des problèmes « vitaux » qui trouvent leur véracité dans le fait que si on ne les résout pas, on finit par ne plus exister. Il faut cependant constater que des tas de personnes ignorent de nombreux problèmes vitaux que ce soit à une échelle individuelle ou collective.

Il y a une raison simple à cela : un problème n’en est un qu’à travers les représentations qu’une personne se fait de la situation. En soi, il n’y a pas de problèmes. Aucun. Il n’y a que des situations et le sens qu’on leur donne. Et comme la diversité est une caractéristique fondamentale de l’homme, une même situation peut être un problème pour l’un et pas du tout pour l’autre. Sans que l’un des deux soit nécessairement stupide ! Simplement, nous avons tous – et c’est une richesse – une histoire différente, des valeurs différentes, des cultures différentes, des espoirs différents… C’est à travers tous ces filtres que se construisent les problèmes que nous voulons bien voir. Et un « vrai » problème n’est jamais donc « vrai » que pour celui qui l’estime tel.

Prenons la question du mariage pour tous qui enflamme la France et les réseaux sociaux. Personnellement, en tant que Belge, je vois ça avec beaucoup de distance. Comme le dit le slogan, « la Belgique a légalisé le mariage pour tous en 2003. Le pays existe encore et les moules se mangent encore avec des frites ». Bref, pour moi, ce n’est clairement pas un problème. Mais je peux comprendre que ce l’est pour certains qui ont une autre histoire, d’autres valeurs, une autre culture, d’autres visions sociales. Cela ne veut pas dire qu’ils sont des « crétins intégristes », comme je l’ai lu sur le mur Facebook de quelqu’un que j’apprécie par ailleurs. Simplement, ils voient les choses autrement. Chacun peut défendre son idée. Personnellement, quand j'essaie de défendre une idée, ma première attitude n'est pas de juger de la légitimité de ceux qui s'y opposent, mais plutôt de tenter de les comprendre, d’analyser leurs représentations et le chemin de celles-ci…

Mon propos n’est pas de faire comme si il n’y avait pas de problèmes dans notre société. Mes valeurs fondamentales tournent autour de la solidarité et du respect de l’autre. Sur la base de ces valeurs, il y a évidemment des tas de situations dans notre monde du XXIe siècle qui me posent problème. J’ai toujours du mal à comprendre que tout le monde n’est pas préoccupé par les mêmes questions qui me semblent fondamentales. Il y a un long chemin de sensibilisation, d’information, de persuasion à réaliser. Ce n’est pas facile. Pour réussir ce chemin, la première idée forte à prendre en compte est que l’autre n’est pas un « con » parce qu’il pense différemment de moi. Peut-être même finalement a-t-il raison, en tout ou en partie ! Pour progresser ensemble, ne faut-il pas commencer par nous dire que nos problèmes ne sont pas « les vrais problèmes », mais simplement des problèmes, à résoudre, ensemble… ?

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