Quand j’étais instituteur, j’avais la chance de travailler dans une école qui donnait toute leur place aux enfants, à leur apprentissage, mais aussi à leurs émotions. Il y avait chaque semaine, si pas chaque jour, des « conseils de classe » où on faisait le point sur le vécu de la classe et où on prenait ensemble les décisions nécessaires. Jusqu’au jour où – du jour au lendemain – j’ai imposé à ma classe d’élèves de 8 à 10 ans la « dictature » !
J’avais l’impression que mes élèves ne réfléchissaient plus trop à ce qui était essentiel. On discutait souvent du fait que l’un avait mal joué au foot ou que l’autre avait rigolé en montant l’escalier… Alors, soudain, j’ai instauré la dictature. Ce fut un peu un coup de tête. Il y avait certainement une réflexion de fond de mon côté, mais je ne sais plus quel fut l’élément déclencheur. Bref, à partir de ce moment-là, les enfants n’avaient plus rien à dire. J’étais le seul décideur. J’avais bien conscience que je ne faisais là que reproduire ce qui se passe dans de nombreuses classes, mais pour la mienne, c’était une véritable révolution. Ou plutôt une régression, tant ce principe même était contraire à toutes mes convictions.
Ce n’était pas évident, car tous les apprentissages étaient habituellement basés sur des découvertes (inter-)actives, avec une grande autonomie responsable individuelle. Dans la logique dictatoriale, il me fallait désormais imposer ma science et infantiliser ceux qui n’étaient plus que des élèves interdits de parole et de pensée.
Cela ne les empêchait évidemment pas de penser ni de chercher à s’exprimer. Mais cette parole était désormais réfrénée et limitée au strict minimum. J’observais mes élèves et je voyais bien qu’ils ne comprenaient pas trop ce qui se passait. Visiblement, ils discutaient entre eux, en dehors de la classe. À tel point que je sentis tout doucement naître un mouvement révolutionnaire ! Cela ne pouvait plus se passer comme cela pour eux.
C’est ce moment que j’ai choisi pour lâcher un peu de lest et commencer à réfléchir avec eux sur notre vécu collectif. Cette réflexion fut évidemment très intéressante. Les enfants ont pu exprimer ce qu’ils ressentaient, ont pu analyser les situations en mettant des mots sur les différences entre les deux systèmes, ont pu échanger sur les avantages et les inconvénients… en s’accordant sur les bienfaits du dialogue constructif pour le bien-être de tous. À partir de là, nous avons reconstruit ensemble un fonctionnement démocratique. Nous avons retrouvé nos apprentissages (inter-)actifs et nos conseils de classe. Il nous est bien sûr encore arrivé lors de ceux-ci de discuter de sujets sans trop d’importance, mais il me semble qu’il y avait désormais une autre dimension.
À l’époque, on ne parlait pas d’éducation à la citoyenneté. Mais quelle expérience enrichissante pour tous et toutes ! Je ne crois pas qu’il faudrait la vivre dans toutes les classes. Elle avait du sens dans le contexte où l’on se trouvait et pour les individus qui la vivaient. Je ne l’ai d’ailleurs jamais renouvelée. Je sais que cette découverte active du sens de la démocratie a marqué certains de ces élèves qui n’ont pas oublié ! Moi non plus !
PS : ce billet est le premier d’une série « Quand j’étais instituteur… ». Je voudrais y partager, en toute simplicité, des moments que j’ai vécus entre 1978 et 1991. Non pas pour en faire des modèles, mais pour se dire que c’est arrivé… et que c’était bien sympathique !
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