La Belgique en est à plus de 200 jours sans gouvernement. Record d’Europe. Le record du monde n’est plus trop loin (289 jours, en Irak). Il n’est donc pas étonnant de voir surgir pour l’instant divers mouvements citoyens et virtuels qui exigent que cela cesse. Face à ces revendications, Claude Semal – artiste typiquement belge et de haute qualité – a estimé bon d’écrire sur son statut Facebook, avec un succès certain d’ailleurs : « Les imbéciles qui pleurent pour avoir un gouvernement sont les mêmes que ceux qui pleureront quand ils en auront un ».
Plus de 100 personnes ont « aimé » cette phrase sans appel… et c’est affligeant. Claude a sans doute raison de penser que beaucoup de ceux qui pleurent maintenant pleureront demain. Est-ce une raison pour les traiter d’imbéciles et ainsi de les injurier ? Ma maman m’a toujours appris que, lorsqu’on parle de personnes, derrière le verbe « être », il faudrait toujours des mots gentils ! On peut ne pas être d’accord avec certains, mais ce n’est pas une raison pour les rabaisser. Claude l’a sans doute d’ailleurs compris. Dans un commentaire, il a ensuite écrit : « Ce qui me semble imbécile, c'est revendiquer « un gouvernement » sans jamais poser la question de la politique que ce gouvernement appliquera ». Quelle différence entre ce commentaire portant sur une action et sa première formulation portant sur des personnes, à la limite du poujadisme (aïe, il ne va pas aimer ça) !
Cela dit, je crois qu’il a tout faux, même dans ce commentaire. Ce n’est pas parce qu’on revendique que nos politiciens arrivent enfin à se mettre d’accord et à constituer un gouvernement qu’on ne s’intéresse pas à la politique qui sera mise en œuvre et qu’on est prêt à accepter tout et n’importe quoi. La Belgique est un État démocratique et il y a eu des élections – entièrement libres, il faut le souligner – où chacun a pu exprimer ses attentes politiques. Il ressort de ces élections que les flamands et les francophones n’ont plus tout à fait la même vision. Le vote flamand est majoritairement à droite, même parfois à l’extrême. Le vote francophone est majoritairement à gauche, ou plutôt vers le centre. À côté de ce clivage classique, on sait que la « logique du sol » reste prédominante chez les flamands – ce qui explique le vote massif pour des partis relativement nationalistes – alors que les francophones restent dans une « logique de la personne ».
Le fait que les différents partis qui négocient n’arrivent pas à se mettre d’accord est donc relativement compréhensible, car – au-delà des personnes et des partis – il y a vraiment des oppositions fondamentales sur un certain nombre de valeurs. Les problèmes concrets qui en découlent ne manquent pas et l’immobilisme dans lequel on se retrouve n’est somme toute qu’assez cohérent. Cela, cependant, tout le monde le sait, y compris les hommes et les femmes politiques qui sont à la table de négociation. Aucun d’entre eux ne parviendra à imposer sa conception. L’accord ne sera inévitablement qu’un compromis, insatisfaisant pour tout le monde. C’est cette audace-là qu’il faut avoir. Oser dire qu’on est d’accord avec une solution qui n’est satisfaisante qu’en partie. Comme disait l’autre (on ne sait plus qui… tout le monde l’a dit), il suffit de cinq minutes de courage politique.
Quand certains citoyens réagissent – enfin – devant l’absence de ce courage, ils ne pleurent pas nécessairement. Ils disent qu’ils en ont marre, avec sagesse et humour. J’avoue que je fais partie des quelques 78 000 campeurs qui ont dressé, en 3 jours, leur tente virtuelle devant le 16, rue de la Loi (Cabinet du Premier ministre belge) afin d’exiger que nos politiciens débouchent sur un gouvernement. Des campings sauvages de ce type, j’en ai connu d’autres, notamment au Liban et en Moldavie. Là, les gens étaient vraiment dans leur tente et risquaient leur vie. Nous sommes en Belgique et nous n’avons droit qu’à un camping « virtuel », ou devrais-je écrire « surréaliste » ? Je ne crois vraiment pas que tous ces campeurs sont des « imbéciles » qui pleurent. Ce sont seulement des citoyens qui expriment leur ras-le-bol, avec dignité et humour.
Parmi eux, il doit sans doute y avoir toutes les opinions politiques. La question fondamentale est bien sûr de savoir quel gouvernement se mettra en place et quelle politique celui-ci mènera. Celle-ci ne sera à nouveau que la résultante d’un compromis, lié au système proportionnel belge. En France, une situation comme celle que la Belgique vit actuellement est impensable. Leur système majoritaire entraîne inévitablement une majorité qui impose ses vues tant qu’elle est au pouvoir. Est-ce mieux ? J’avoue ne pas en être persuadé. La notion belge de « compromis » me semble diantrement intéressante, réellement démocratique. Au bout du compte, chacun devrait pouvoir un peu s’y retrouver. On n’est pas encore « au bout du compte ». Mais il faut y arriver. C’est cela que tous ces « imbéciles » revendiquent aujourd’hui. Et ils ont bien raison.
Tu vas te laisser pousser la barbe ? :)
RépondreSupprimerSurtout pas ! Cette proposition - que je trouve personnellement stupide ! - vient d'un personnage douteux qui porte déjà la barbe ! Elle détourne l'attention du vrai problème…
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