Tout à l’heure, marchant quelques mètres sur le trottoir, j’ai soudain vu un mégot de cigarette encore allumé, et – l’instant d’une seconde – j’ai eu la furieuse envie de le ramasser et de le terminer, ressentant soudainement un goût merveilleux de folie. Un goût que je connais depuis une cinquantaine d’années. Le goût de l’interdit.
Je n’ai pas ramassé le mégot. L’envie n’a duré qu’une seconde. Mais cette seconde fut remplie d’images, de parfums et de sensations. Il y a une cinquantaine d’années, alors que je n’étais qu’un enfant, je découvrais la cigarette. Et mes premiers émois étaient notamment liés à ces mégots que je ramassais pour les terminer. C’était la découverte du goût du tabac et de la nicotine, mais surtout sans doute le goût de l’interdit. C’était merveilleux.
Élevé dans un contexte catholique, je n’oubliais pas la réponse à une des questions du catéchisme : « Dieu voit tout, Dieu sait tout, même nos pensées les plus secrètes ». Et j’étais terrifié. Personne ne voyait que je ramassais ces mégots. Du moins, je m’en convainquais. Mais j’avais beau faire, je savais que Dieu, lui, voyait. À vrai dire, j’étais terrifié, mais cet acte de bravoure n’en avait que d’autant plus de sel. J’osais même braver le regard de Dieu, vous imaginez. Je savais que ce n’était pas bien, que je risquais de terminer en enfer, mais j’osais quand même. C’était envoûtant.
Je suis devenu fumeur. Puis, j’ai arrêté, il y a 35 ans. Je n’ai jamais eu envie de recommencer. Sauf ce matin. L’instant d’une seconde. Mais dans cette envie furtive, ce qui m’excitait, ce n’était pas la cigarette. C’était ce goût mystérieux de l’interdit. Rien que le fait de ressentir encore cette curieuse sensation, cet attrait irrésistible, je me suis senti léger et libre. Comme quoi…
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