samedi 3 octobre 2015

Sui caedere : se tuer soi-même


Voilà longtemps que je voulais écrire un billet sur le suicide. C’est difficile. Comment mettre des mots sur un geste qui – par définition – supprime volontairement tous les mots ? Se suicider, c’est clamer qu’il n’y a plus de place pour le dialogue, que discuter ne servira plus à rien, que seul le silence peut encore apporter une réponse. Parler du suicide, c’est quelque part en nier la réalité !

Et pourtant, il y en a tant. Non seulement autour de moi, mais dans le monde entier. Environ un million de suicides par an, pour dix à vingt fois plus de tentatives. Un suicide toutes les 30 secondes. Une tentative environ toutes les 2 secondes. Réalité difficile à nier.

Chaque histoire est différente, dans toute sa complexité, sa singularité, ses sentiers égarés et tordus. Vu de l’extérieur, on peut comprendre certaines choses. Mais on ne peut jamais se mettre réellement à la place de celui ou de celle qui n’en peut plus, qui ne voit plus d’issue, dont le tourment est tel qu’il est insupportable et n’offre plus comme seule piste que la disparition.

Il me semblerait vain et méprisant de chercher à juger quiconque se suicide. On peut bien sûr se dire qu’il aurait pu agir autrement, que cela ne sert à rien, mais pour le suicidé, s’il est passé à l’acte, c’est qu’il n’y avait pas d’autre solution.

Il n’empêche, quelque part, le suicide est le sommet de l’orgueil, même quand il est le fait de personnes n’en ayant aucune once. Se suicider, c’est croire qu’on est à la fois le problème et la solution. C’est penser que tout ce qui ne va pas ne tient qu’à soi-même et qu’en se supprimant il n’y aura plus de problème. C’est évidemment illusoire. Les problèmes ne disparaissent pas par le suicide. Ils sont simplement déposés dans les bras de ceux qui restent. Cadeau empoisonné, parfois impossible à gérer ou à assimiler. Celui qui est parti ne s’est pas vraiment posé la question de ce qu’il laissait derrière lui. Le fardeau était si lourd pour lui qu’il a fini par s’imaginer qu’il était le fardeau lui-même et qu’il fallait donc disparaître. Si le problème était vraiment son existence, on pourrait penser que le problème disparaît par son départ. C’est sans doute ce que le suicidé pense. C’est rarement ce que ses proches vivront, même dans le respect de sa décision.

Je l’ai dit, aborder le suicide est difficile. Le faisant, je n’ai aucune prétention. Ce billet ne changera rien : si une personne suicidaire le lisait, je doute fort qu’il influence sa décision. Et pour ceux qui restent, après un suicide d’un proche, il n’apportera vraisemblablement aucun réconfort. Mais il est quand même étonnant de constater que ce sujet qui concerne tellement de personnes n’est que peu traité sur la toile, du moins en français.

Il se fait qu’il y a longtemps, en pleine jeunesse, je suis passé par là. Si je suis aujourd’hui en vie, c’est par un curieux concours de circonstances. J’ai finalement été sauvé par ceux qui m’avaient – à mes yeux – condamné. Sans savoir ni trop comment ni trop pourquoi, ils ont fait les actes qu’il fallait faire dans l’urgence. Après, au-delà de l’aspect purement physique, j’ai pu poser mon fardeau auprès d’amis qui m’ont aidé à retrouver le sens de la vie. Les deux personnes les plus impliquées dans cet événement de ma vie – le problème et la solution – sont malheureusement parties trop tôt, emportées chacune par la maladie. Mais je sais aujourd’hui pourquoi et comment je suis encore en vie. Heureux de l’être, grâce à ces autres personnes – mes proches – qui me construisent au quotidien.

La vie est la réalité la plus précieuse que nous avons. Elle n’est pas toujours facile. Loin de là. Mais elle est toujours un cadeau. Le suicide, lui, n’est jamais qu’une sortie de secours. La vie – aussi tortueuse soit-elle – est le chemin. Puisse chacun et chacune trouver le sien.

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