Hier soir, je l’ai vécu en direct. Je souhaitais transmettre à un ami le lien d’un fichier que j’avais transféré dernièrement sur Megaupload… et plus possible de me connecter sur mes fichiers. Megaupload, cette extraordinaire plateforme de partage de fichiers, est dans les cordes par décision de justice américaine.
La question est complexe. Étant moi-même actif dans une société de gestion des droits d’auteurs, je ne vais pas cracher dans la soupe. Le travail d’un auteur, dans quelque domaine que ce soit, est un vrai travail qui mérite salaire. L’explosion de la production numérique ne facilite pas le respect de cette règle essentielle et il faut trouver les moyens de régulation nécessaires pour permettre le respect de ce droit de base.
Maintenant, fallait-il pour autant fermer Megaupload ? Que ce site ait été utilisé pour transférer de manière illégale des tas de fichiers, c’est l’évidence même. Mais est-ce parce que de nombreux automobilistes ne respectent pas les limitations de vitesse sur les autoroutes belges qu’il faut pour autant fermer celles-ci ?
Il faut d’abord constater que la fermeture de Megaupload ne changera sans doute rien aux téléchargements illégaux. D’autres sites existent, qui font la même chose. Et d’autres sites naîtront tout aussi vite. Il y a même fort à parier que plus on fermera des sites de ce style, plus ils écloront. C’est une réalité qu’il me semble indispensable de prendre en compte. À ce niveau, une politique répressive risque fort de ne jamais atteindre ses objectifs, bien au contraire.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour que les droits des auteurs soient respectés. Mais il est sans doute plus important et intéressant de trouver des formules qui respectent les auteurs tout en reconnaissant la réalité des échanges numériques. Cela passe sans doute par des contributions au niveau des fournisseurs d’accès à Internet et par des « licences globales » permettant à tout un chacun de télécharger ce qu’il souhaite tout en assurant une rémunération des auteurs.
En plus de ne pas atteindre l’objectif recherché, la fermeture brutale de Megaupload est injuste. Si effectivement la plateforme était le lieu de transferts illégaux, elle était aussi la possibilité de sauvegarder et de partager des fichiers de manière tout à fait légale. Chacun – j’en suis – pouvait y placer des fichiers, personnels ou professionnels, pour en garder une copie et y donner accès à d’autres personnes bien déterminées. La fermeture du site coupe ainsi des milliers d’utilisateurs de leurs fichiers. En réalité, ce sont surtout ces utilisateurs « légaux » qui sont touchés par la fermeture du site. Les « illégaux » sont eux déjà sur d’autres plateformes.
Ce n’est d’ailleurs pas parce qu’on partage des fichiers musicaux ou visuels qu’on est inévitablement dans l’illégalité. Par exemple, le blog Des raretés… pour le plaisir partageait, en passant par Megaupload, des chansons publiées en leur temps sur 33 ou 45 tours et qui n’ont jamais été rééditées en CD. Ces albums rares étaient ainsi partagés avec tous ceux que cela intéressait, sans atteindre d’une quelconque manière les droits de leurs auteurs. Pour certains de ces disques, il est possible de les acheter sur des sites de seconde main. Cela coûte une fortune. Que vaut-il mieux ? Revendre un 45 tours à un prix 100 fois supérieur à ce qu’on l’a acheté il y a 40 ans, ou partager gratuitement ces chansons oubliées pour que chacun puisse en profiter ? Il en est ainsi par exemple du 45 tours du « Double cinq » que j’ai partagé sur ce blog il n’y a pas longtemps et qui est maintenant inaccessible. Loin de léser les auteurs de ces chansons, je crois que je leur donnais une seconde vie !
Il est inutile dans ce débat d’accabler les USA. C’est vrai que la justice américaine a pris une décision qui affecte le monde entier. Elle ne l’a pas prise seule : d’autres pays sont impliqués aussi, dont la Nouvelle-Zélande. Le problème du piratage est effectivement international et on ne peut pas reprocher à une nation de prendre des mesures radicales pour organiser la lutte contre ce fléau. Mais ce n’est pas en prenant des mesures répressives et aveugles qu’on parviendra à faire quoi que ce soit.
En attendant, un outil extraordinaire de partage est fermé – et il y aura sans doute des fermetures d’autres sites. Cela ne change pas grand chose pour les pirates. Mais pour les utilisateurs légaux, cela change énormément, avec parfois même des conséquences dramatiques. De plus, on peut quand même se poser de nombreuses questions au niveau de la liberté. Fermer Megaupload, c’est – qu’on le veuille ou non – museler une partie de notre liberté d’échange. C’est attenter à notre droit fondamental de partager ce qu’on souhaite partager. C’est interdire aux gens de gérer leurs affaires comme ils le veulent. C’est organiser une censure au niveau mondial. Et cela, c’est quand même vachement interpellant !
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