Madison, 14 ans, suicidée par pendaison à Herstal, après avoir été victime de harcèlement. En Arizona, deux adolescentes de 15 ans se donnent la mort, sans doute parce qu’elles s’aimaient et que ce n’était pas possible. En réalité, tous les trois jours, en Suisse par exemple, un jeune de 15 à 24 ans met fin à ses jours. Le suicide n’est plus seulement un fléau qui touche des adolescents souvent fragilisés par cette période charnière de la vie. Il devient un véritable problème de société.
Chaque chemin a son histoire. Il serait vain de généraliser des parcours humains alors qu’ils sont tellement singuliers. Il n’empêche, devant la multiplication de ces actes désespérés, il faut pouvoir s’interroger et tenter d’expliquer.
Comme Philippe Meirieu l’a plusieurs fois montré, la place de l’enfant a fondamentalement évolué durant la fin du 20e siècle. Avant cela – j’en suis la preuve vivante – les enfants naissaient sans qu’on sache trop comment. Au fil de ces naissances, une famille se constituait et accueillait en son sein les nouveaux venus. Avec l’apparition des moyens contraceptifs associée à une évolution sociétale tournée vers la consommation individuelle, les enfants ne sont nés – le plus souvent – que quand et là où leurs parents le voulaient. Leur naissance contrôlée et voulue est dès lors constitutive de la famille. L'enfant n’est plus seulement accueilli par elle : il est la famille. Tout tourne dès lors autour de lui. C’est l’enfant-roi. Tout lui est dû, y compris le « respect » - immédiat et intégral – de tous ceux qui l’entourent. On le chérit tellement cet enfant !
Mais la vie, elle, n’a pas tellement changé. Les autres restent ce qu’ils ont toujours été : « homo homini lupus » (l’homme est un loup pour l’homme – Plaute, 212 ACN). Du statut d’enfant-roi à celui d’adolescent-victime propiatoire, il n’y a à la fois qu’un pas et qu’un gouffre insupportable à accepter.
La tentative de suicide ou le suicide sont alors paradoxalement un geste d’existence. Toutes les attaques contre soi, toutes les attitudes violentes et destructrices, répondent à une déception qui est à la mesure de la très forte volonté d’exister qui se cache derrière, mais face à laquelle les jeunes se sentent impuissants et incapables d’exercer dans l’immédiateté leurs envies de manière positive.
En attendant, nos jeunes se tuent. Tout le monde s’en lave les mains. C’est toujours de la faute des autres jeunes, ceux qui harcèlent. Mais si harcèlement il y a, ce n’est sans doute aussi qu’une réponse violente et destructrice au mal-être fondamental des jeunes. Celui-ci découle naturellement du mode de fonctionnement de notre société actuelle dans laquelle les droits individuels surclassent et écrasent le droit collectif de vivre en symbiose, c’est-à-dire « l’association indissoluble et durable entre deux espèces dont chacune tire bénéfice » (Christian Lévêque, La biodiversité au quotidien, 2008). C’est pourtant le seul droit dont nous avons besoin.
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