mercredi 8 avril 2020

Si seulement on pouvait retenir la leçon

De toute évidence, mon premier billet (29 février) sur le Covid-19 était un peu trop désinvolte vis-à-vis de ce sinistre coronavirus, même si les chiffres d’autres causes de décès qu’il présentait restent valables et invitent encore à relativiser. Depuis lors, on est passé de 3000 morts à plus de 80 000 dans le monde. Ce n’est pas rien et c’est 80 000 de trop, alors que ce n’est pas fini.

Il faut encore relativiser, mais aussi analyser :
  • il y a un siècle, en 1918-1919, la pandémie dite de la « grippe espagnole » fait de 20 à 50 millions de morts selon l'Institut Pasteur, et peut-être jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes, soit 2,5 à 5 % de la population mondiale ;
  • en 1957, la « grippe asiatique » entraîne la mort de 1,1 million de personnes, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avance deux millions de personnes ;
  • en 1968-1969, il y a cinquante ans à peine, la « grippe de Hong-Kong » tue environ 1 million de personnes, dans une relative indifférence en France alors que le nombre de victimes y dépasse 50 000 ;
  • depuis la fin des années 1970, l’épidémie de SIDA cause la mort de plus de 32 millions de personnes.
Publier ces chiffres ne vise nullement à réduire l’ampleur ni la dangerosité de l’actuelle pandémie, même s’ils invitent à relativiser. Par contre, ils poussent à se poser des questions, notamment de savoir ce qui fait que dans ce cas-ci, la moitié de la population mondiale se retrouve confinée avec des conséquences sociales et économiques incommensurables. Pourquoi nos dirigeants prennent-ils de telles mesures, globalement en accord avec la population ?

L’histoire ne s’écrit jamais dans le feu de l’action, mais on peut d’ores et déjà avancer quelques explications. La principale est sans doute que le rapport à la mort, voire à la maladie, a changé. L’homme continue bien entendu à savoir qu’il est mortel, mais les frontières de la mort ont changé. Les progrès de la médecine nous ont donné un sentiment illusoire d’éternité. Depuis 1900, l’espérance de vie en France est passée de 48 à 82 ans, soit une augmentation de 70% ! Cette augmentation a conduit à une confiance collective quasi aveugle dans la science médicale. C’est celle-ci qui explique l’apparente insouciance lors de l’épidémie de 1968 (où il y avait d’autres chats à traiter), mais aussi l’insouciance bien réelle dans la gestion anticipative des stocks de masques (pourquoi avoir un stock qui ne servira à rien ?) et dans les investissements dans les soins de santé (pourquoi investir puisqu’on est quasi immortels ?).

Le réveil est dur pour nos décideurs. Pour chacun d’entre nous aussi d’ailleurs. Non, nous ne sommes pas immortels. Et le danger est là, à notre porte, bien présent. Si on ne faisait rien, les malades auraient très rapidement dépassés la nouvelle capacité de soins hospitaliers. Au bout du compte, le risque était d’avoir près de 1000 fois plus de victimes qu’actuellement, c’est-à-dire environ 80 millions !  Devant cette urgence, toute relative qu’elle soit, il fallait agir. On assiste ainsi à une mise à l’arrêt de la frénésie économique. Ce que les luttes pour sauver le climat n’ont pas obtenu malgré les millions de manifestants dans le monde depuis longtemps, la petite bête l’a exigé et décroché en quelques mois.

En réalité, le danger lié aux changements climatiques est bien plus important que celui du Covid-19. La différence n’est pas la gravité, mais l’urgence immédiate. C’est ce qui peut inquiéter d’ailleurs, parce qu’une fois que celle-ci sera passée – comme ce fut le cas lors des pandémies précédentes – on peut malheureusement supposer que la frénésie néolibérale de la consommation reprendra de plus belle. On risque d’oublier très rapidement que l’aspect pandémique du coronavirus a été favorisé par la mondialisation de la mobilité et du commerce. Vouloir tout et tout de suite sur sa table conduit inexorablement à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Si seulement on pouvait retenir la leçon…

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