mardi 10 mai 2011

Vindicte populaire

Il a suffi que l’information de la libération conditionnelle potentielle de Michelle Martin parvienne sur la place publique pour que la vindicte populaire s’exprime de manière incontrôlée, déplaçant la monstruosité de cette femme coupable de crimes abominables vers ceux qui, au nom de leur émotion, sont prêts à en commettre eux-mêmes sous prétexte de se venger.

Sur Facebook, notamment, les groupes contre la libération de Martin ont fleuri, avec un succès fulgurant. Que les gens ne soient pas d’accord avec cette libération, on peut le comprendre. Mais les commentaires de « ceux qui savent » rivalisent en horreur abjecte ! Beaucoup ont déclaré « Je ne suis pas fier d’être belge… » ! Face à ce déferlement d’appels au meurtre et à la torture, c’est à mon tour d’avoir quelques doutes quant à ma fierté citoyenne. Mais pas pour les mêmes raisons.

Je souhaite être clair : Michelle Martin a participé à des crimes atroces et elle en est pleinement responsable. Elle n’a de plus certainement pas tout dit et cela renforce encore sa culpabilité. Dans notre système social, elle devait être punie. Sévèrement. Elle l’a été. Le jury d’assises qui a prononcé la culpabilité et la peine savait ce qu’il faisait, notamment lorsqu’il a refusé la « mise à la disposition du gouvernement », au contraire de la décision concernant Marc Dutroux. Toute peine d’emprisonnement peut être suivie d’une libération conditionnelle pour autant qu’un tiers de la peine ait été exécuté et que certaines conditions soient remplies, dont évidemment une bonne conduite en prison. Pour Martin, la décision de libération intervient non pas au tiers de la peine, mais à la moitié. Elle n’a – selon moi – rien d’inadmissible, de scandaleux, d’honteux, d’insultant, d’écœurant, de choquant, d’incompréhensible, d’inacceptable, d’intolérable…, comme un journal populaire l’affichait sur sa Une aujourd’hui. Cette libération n’est que l’application logique d’un processus de justice fondé plus sur un concept de reconstruction que sur celui de vengeance.

Que l’annonce de cette libération crée une grande émotion tant auprès des victimes que de la population, c’est tout à fait légitime et compréhensible. Je partage cette émotion. Que celle-ci se transforme en vindicte populaire sûre de son infaillibilité, c’est plus interpellant. Une des fondements d’une société démocratique est de disposer d’une justice indépendante, agissant librement et en dehors de toutes charges émotionnelles, dans le respect du droit. Vouloir substituer l’émotion à cette justice rigoureuse, n’est-ce pas ouvrir la porte à la folie autoritaire ?

Ces réflexions ne signifient évidemment pas que la justice ne doive pas évoluer. Il est toujours possible d’en améliorer le fonctionnement pour mieux prendre en compte certaines difficultés et certaines aspirations citoyennes. Ces améliorations doivent procéder d’un processus démocratique de réflexion et de débats, en gardant l’objectif d’une justice réparatrice – pour les victimes bien sûr, mais aussi pour les coupables – et non pas d’une vengeance simplificatrice.

En écrivant tout ceci, j’ai peur de me faire lyncher à mon tour ! Malgré toutes les monstruosités dont des hommes et des femmes peuvent se rendre coupables, je garde confiance en l’être humain et j’ai besoin de le dire. La justice est une preuve de l’humanité et de la grandeur de l’être humain. Elle reste évidemment œuvre humaine et, dès lors, souffre d’imperfections. Vouloir la détourner de ses objectifs, n’est-ce pas courir le risque de réduire l’être humain à un animal parmi les animaux ?

4 commentaires:

  1. Tu es certainement dans le juste, même si je partage aussi l'émotion si humaine de voir cette femme libre. Je n'irai pas crier au lynchage, car c'est barbare, mais tout de même, je trouve que la durée de sa peine est bien réduite, et c'est cela qui choque... car la peine des victimes n'est elle hélas, pas réduite.
    Merci de ton analyse qui met un peu de distance et de sérénité sur tout ça en tout cas.

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  2. Bon, tu sais que je ne te suivrai globalement pas sur ce terrain là... même si je suis contre le lynchage que tu dénonces justement.

    Il est des crimes pour lesquels on ne devrait jamais être libéré... L'idée même qu'une personne de cette trempe puisse être en mesure de se "reconstruire" m'est insupportable.

    Enfin bon, on avait déjà eu une reflexion similaire toi et moi, et je n'ai pas changé d'avis sur la question.

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  3. @Cath : j'ai écrit clairement que je partage l'émotion provoquée par la décision de libération (pour le moment suspendue en attente de la décision officielle de la France)

    @Franck : je sais que sur le fond nous n'avons pas la même opinion. Mon billet ne portait cependant pas sur le fond ! Pour moi, la décision de libération n'est pas scandaleuse, car elle est l'application d'une loi et d'un processus juridique rigoureux et transparent. Ce qui me dérange vraiment, c'est la vindicte populaire prête à tuer et torturer quelqu'un sans autre forme de procès et sans aucune confiance dans la justice. Ce n'est pas parce qu'on est ému qu'on doit perdre raison ! Or, quand on lit ce que les gens écrivent sur internet, sans aucun contrôle social, il y a vraiment de quoi se poser des questions… et je suis sûr que tu te les poserais aussi !

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  4. Bravo pour votre courage. Je partage votre vision des choses et suis outrée par ce que je peux lire partout à ce sujet.
    L'être humain, en s'imaginant être détenteur de la vérité et de la Justice, se révèle ici tout aussi abject que ce qu'il condamne. C'est à vomir.

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